Plafond d’endettement : Advienne que pourra
Par : Priya Misra, Gennadiy Goldberg, Molly McGown, Oscar Munoz, Mark McCormick
19 mai 2023 - 9 minutes 30 secondesRécemment, la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, a revu son estimation du jour J au 1er juin et le Congressional Budget Office (CBO) a confirmé que le Trésor pourrait manquer de liquidités au début du mois de juin. Le jour J correspond au moment où le Trésor pourrait manquer de marge de manœuvre au regard du plafond d’endettement et ne serait plus en mesure de satisfaire à l’ensemble de ses obligations de paiement, ce qui provoquerait un défaut de paiement sur la dette.
Quels sont les enjeux politiques autour d’un relèvement du plafond d’endettement?
Pour l’heure, aucun consensus n’a été trouvé sur la question du plafond d’endettement. Fin avril, les républicains ont adopté la loi très partisane dite Limit, Save, Grow Act, qui prévoit un relèvement du plafond d’endettement à hauteur de 1 500 milliards de dollars, mais qui porte essentiellement sur l’abrogation d’un grand nombre de mesures introduites dans l’Inflation Reduction Act (IRA) du président Biden. Le texte ne devrait vraisemblablement pas être voté par le Sénat, mais il peut néanmoins constituer un point de départ pour les négociations. Les démocrates continuent de réclamer une hausse inconditionnelle du plafond d’endettement et maintiennent que le budget doit être négocié séparément. De leur côté, les républicains veulent aligner les deux enjeux et imposer une réduction des dépenses publiques comme condition préalable à un relèvement du plafond d’endettement.
Même si nous ne pensons pas que les États-Unis feront défaut sur leur dette, nous nous attendons toutefois à ce que les négociations soient laborieuses, ce qui provoquera une réaction d’aversion pour le risque de la part des marchés. Nous entrevoyons deux issues possibles :
- Un accord à plus long terme, jusqu’au début de 2025, assorti d’une réduction des dépenses : Ce serait le scénario idéal pour les marchés, car l’incertitude qui entoure le plafonnement de la dette disparaîtrait après l’élection présidentielle de 2024. Toutefois, un tel accord devrait très certainement prévoir des dispositions relatives à la réduction des dépenses ou à la perspective d’une réduction du déficit à l’avenir. À noter que les deux parties sont encore loin de parvenir à un accord et que les négociations pourraient encore durer un certain temps.
- Une prolongation à court terme pour laisser plus de place à la négociation : Dans la mesure où le Congrès doit également négocier un projet de loi de financement avant le 30 septembre, sous peine d’assister à une suspension des services publics, il est possible que les deux parties votent un prolongement du plafond de la dette « nette » jusqu’au mois de septembre.
Un abaissement de la cote de crédit est-il possible?
Même si S&P ne devrait pas abaisser la note des États-Unis pour l’heure, Moody’s ou Fitch pourraient placer le pays sous perspective négative, voire l’assujettir à une surveillance négative, en raison du bras de fer qui se poursuit sur le plafond d’endettement. Pour le moment, les deux agences de notation attribuent aux États-Unis les notes Aaa et AAA, respectivement, et estiment que les perspectives sont stables. L’abaissement ou la menace d’abaissement de la cote de crédit des États-Unis pourrait entraîner une réaction généralisée d’aversion pour le risque de la part des marchés.
Le défaut d’une obligation entraîne-t-il le défaut de toutes les obligations?
Selon la Securities Industry and Financial Markets Association (SIFMA), aucune disposition ne prévoit de défaut croisé pour les titres du Trésor américain, ce qui laisse entendre que si un CUSIP est touché, aucun défaut croisé ne sera observé avec d’autres titres du Trésor ayant des échéances différentes. Cela laisse supposer que si les investisseurs sont susceptibles d’éviter les bons ou les billets qui arrivent à échéance juste après le jour J ou les titres à coupon qui versent des coupons le 15 juin, il ne devrait pas y avoir de répercussion sur d’autres titres du Trésor
Peut-on prioriser le remboursement de la dette?
Par le passé, le Trésor a ouvertement rejeté l’idée qu’une priorisation des paiements était impossible sur le plan opérationnel. Bien que cette idée ait été évoquée au cours de chacune des récentes crises liées au plafond d’endettement jusqu’à présent, les secrétaires du Trésor Jacob Lew et Steven Mnuchin ont tous deux rejeté l’idée d’une telle priorisation. Janet Yellen, quant à elle, doute également de la viabilité d’une priorisation des paiements. À noter que le Trésor procédera à tous les paiements de coupon et de capital ou, s’il ne dispose pas de suffisamment de liquidités pour ce faire, n’en effectuera aucun
Le Trésor ou Biden peuvent-ils y arriver seuls?
Deux options considérées comme plus « inventives » ont retenu notre attention, mais nous ne pensons pas que le Trésor y recourra :
- Frapper une pièce de monnaie en platine : Le Trésor pourrait frapper une pièce de monnaie en platine d’une valeur nominale de 1 000 milliards de dollars et la déposer par la suite à la Réserve fédérale (Fed). Il convient toutefois de noter qu’une telle action serait probablement contestée devant les tribunaux et pourrait s’avérer problématique si la Fed refusait d’accepter le dépôt.
- Invoquer le 14e amendement : Le 14e amendement de la Constitution des États-Unis contient une disposition stipulant que « [l]a validité de la dette publique des États-Unis […] ne sera pas remise en question. » Cela donne à penser que l’impasse dans laquelle se trouve le Congrès constitue de fait une violation de la Constitution des États-Unis, qui autorise le président à relever unilatéralement le plafond d’endettement. Soulignons que cela ferait probablement grimper le plafond d’endettement à un niveau qui mènerait à une crise constitutionnelle à part entière, occasionnant une bataille qui se terminerait devant la Cour suprême.
Défaut de paiement : quelles conséquences pour les détenteurs de titres du Trésor?
Étant donné le désir du marché de se préparer au pire scénario, la SIFMA et le Treasury Market Practices Group (TMPG) ont consacré beaucoup de temps à la préparation opérationnelle de la dynamique en cas de défaut. Un éventuel défaut peut donner lieu à plusieurs scénarios :
- Un retard dans le paiement du capital : Cela reporterait la date d’action d’une émission, ce qui se traduirait par une nouvelle date d’action opérationnelle sur Fedwire pour les paiements de coupons et de capital. Ces titres peuvent continuer d’être négociés sur le marché. La décision de prolongement de l’échéance sera prise « au jour le jour » et chaque jour, Fedwire déterminera si le Trésor a la capacité d’effectuer le paiement ou non.
- Un retard dans le paiement de coupons : Les titres assortis de coupons retardés restent négociables sur Fedwire. Le paiement des coupons serait effectué à la fermeture des marchés le jour qui précède la date de paiement des coupons initialement prévue dans Fedwire. Cela permet au système de continuer à suivre les montants des coupons appropriés avec moins d’interventions manuelles.
- Le Trésor n’effectue pas le paiement et Fedwire demeure inchangé, ce qui empêche les instruments impactés d’être transférés : Ce scénario reste hautement improbable, mais si aucun prolongement n’est accordé à la date d’action dans Fedwire, les titres ne peuvent pas être transférés à un autre détenteur. Un tel scénario serait extrêmement difficile pour tous les marchés.
En cas de défaut de paiement, les fournisseurs doivent continuer de déterminer le prix des actifs à un niveau autre que zéro.
Comment les marchés réagiront-ils?
Les investisseurs ont tendance à ignorer les échéances relatives au plafond d’endettement jusqu’à ce que ces dernières se rapprochent. Ils commencent alors à y prêter attention lorsqu’il apparaît que le plafond pourrait ne pas être relevé à temps. Compte tenu du rôle des titres du Trésor dans le financement mondial et national, même un léger retard de paiement pourrait avoir des conséquences catastrophiques.
Si le jour J du 1er juin approche sans qu’un accord n’ait été trouvé, la réaction des marchés sera probablement celle d’une aversion pour le risque, avec une reprise des titres du Trésor et un repli des actions. Des signes de perturbation du marché se manifestent déjà, avec les swaps sur défaillance de titres de créance américains à un an qui se négocient à 164 pdb, soit près des niveaux les plus élevés jamais observés. À noter que l’International Swaps and Derivatives Association (ISDA) doit déterminer si un paiement manqué déclenche les swaps sur défaillance de titres de créance américains. Qui plus est, un certain élargissement des swaps sur défaillance de titres de créance aujourd’hui reflète le fait que les obligations moins chères à livrer sont fortement sous-évaluées en raison de la hausse des taux d’intérêt au cours de l’année écoulée.
Les réactions des marchés à la menace d’un franchissement du plafond d’endettement seraient sans doute les suivantes :
- Des billets à déprécier : Le marché des billets a déjà réagi à la menace qui pèse sur le plafond d’endettement. En effet, les obligations qui arrivent à échéance juste après le jour J du 1er juin se négocient à des taux nettement plus élevés et à des niveaux de swaps indexés sur le taux d’intérêt à un jour plus importants que ceux des billets dont l’échéance est plus lointaine. Cela s’explique probablement par le fait que les fonds du marché monétaire et d’autres investisseurs évitent les titres dits « à risque », car ils ne souhaitent pas courir le risque d’un retard de paiement.
- Les obligations à coupon touchées pourraient être dépréciées : Les bons et obligations du Trésor dont les paiements de coupon approchent de la date du plafond d’endettement pourraient également se négocier à un prix légèrement inférieur à celui des autres titres. Les titres du Trésor dont la date de coupon est le 15 juin seraient considérés comme plus susceptibles de retarder le paiement que les autres titres.
- Un défaut sur la dette créerait une aversion généralisée pour le risque : Le scénario le plus pessimiste, dans lequel le Trésor ne parviendrait pas à rembourser la dette dans les délais impartis, provoquerait vraisemblablement une importante aversion pour le risque sur les marchés. Nous pensons que les actions devraient fortement reculer à mesure que la ruée vers les titres de qualité se répandra. À l’instar de la dynamique observée en 2011, nous nous attendons à une telle appétence pour les titres du Trésor, car ces derniers sont perçus comme des valeurs refuges à plus long terme par les investisseurs. Nous prévoyons une pentification haussière de la courbe, mais pas aussi prononcée qu’en 2011, car les niveaux d’inflation élevés du moment empêcheraient la Fed d’abaisser ses taux fortement. Selon nous, les bilans des courtiers devraient se raréfier et les titres du Trésor devraient être moins performants que les swaps, ce qui se traduirait par un resserrement des écarts de taux des swaps.
Quelles sont les conséquences d’un défaut de paiement pour l’économie américaine?
Compte tenu du rôle des titres du Trésor dans le financement mondial et national, même un léger retard de paiement pourrait avoir des conséquences catastrophiques. Alors qu’un défaut de paiement aurait de lourdes conséquences, le rapprochement du jour J sans qu’aucun accord n’ait été trouvé pourrait susciter une certaine nervosité sur les marchés. Selon nous, les marchés pourraient réagir de deux façons :
- Le canal de la confiance : À mesure que nous nous rapprochons de la date limite du plafond d’endettement, la médiatisation accrue pourrait peser sur la confiance des entreprises et des consommateurs, ce qui pourrait avoir des répercussions sur l’investissement et les dépenses.
- Conséquences directes d’un défaut de paiement : Si le plafond d’endettement n’est pas relevé d’ici le jour J, le Trésor cessera de verser, entre autres, les prestations de sécurité sociale, les paiements aux troupes et les crédits d’impôt mensuels pour enfants. Un dépassement du plafond d’endettement serait nuisible à l’économie américaine. La Maison-Blanche a publié une analyse selon laquelle un défaut de paiement, même bref, pourrait entraîner la perte de 500 000 emplois et une baisse du PIB de 0,6 %, tandis qu’un défaut de paiement plus long entraînerait probablement la perte de 8,3 millions d’emplois et une baisse du PIB de 6,1 %. Les normes de crédit deviendraient encore plus strictes pour compenser les coûts et réduire encore davantage la capacité d’emprunt des entreprises et des ménages.
Quelles sont les conséquences d’un bras de fer ou d’un défaut de paiement pour la Fed?
La Fed risque fort de percevoir un bras de fer lié au plafond d’endettement ou un défaut de paiement comme une source d’incertitude importante sur les marchés. Nous prévoyons donc une pause du resserrement quantitatif (RQ) dans un scénario de défaut. À noter que le RQ accroît les besoins de financement du Trésor. Son interruption serait donc logique. Toutefois, la Fed devrait séparer la politique monétaire des mesures prises pour assurer le fonctionnement du marché et la stabilité financière. En raison de l’inflation supérieure à la cible et du resserrement du marché du travail, il est difficile pour la Fed de tirer parti de sa politique monétaire.
Étant donné que la prochaine réunion du FOMC aura lieu le 14 juin, l’impact de l’incertitude qui entoure le plafond d’endettement sera binaire. Soit le plafond d’endettement est relevé bien avant la décision du FOMC (avant le jour J du 1er juin), soit un « scénario le plus pessimiste » (un défaut de paiement) rend peu probable l’augmentation des taux par la Fed en raison de l’énorme incertitude et de la forte volatilité attendue sur les marchés. À noter qu’un relèvement à court terme du plafond d’endettement au cours de l’automne pourrait entretenir l’incertitude autour de cette question pendant une période prolongée. Cette décision pourrait freiner la croissance économique si elle se conjuguait avec des négociations sur le financement gouvernemental (car elle pourrait entraîner une suspension des services publics après le 30 septembre).
Bien que la Fed n’ait pas évoqué les mesures qu’elle pourrait prendre en cas de défaut de paiement, elle pourrait échanger les obligations touchées avec des obligations du portefeuille System Open Market Account (SOMA) de la Fed. La banque centrale a abordé ce sujet au moment de la crise du plafond d’endettement de 2013. Il ne s’agit toutefois que d’un soulagement à très court terme. À l’époque, la Fed avait également indiqué que le traitement prudentiel et réglementaire des titres du Trésor et des entités gouvernementales spéciales ne changerait pas, même en cas de défaut de paiement. La Fed a également promis de collaborer avec les banques, car leurs ratios de fonds propres risquent d’être touchés.
Nos stratèges des taux et de la macroéconomie aux États-Unis, ainsi que notre spécialiste des politiques et politologue Nicolas Checa, fondateur d’Alpha-Policy, ont tenu une table ronde virtuelle sur le plafond d’endettement américain à l’intention de leurs collègues et de leurs clients. Les clients abonnés peuvent visionner l’enregistrement sur le portail Market Alpha de Valeurs Mobilières TD.
Directrice générale et chef mondiale, Stratégie liée aux taux, Valeurs Mobilières TD
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Directeur et stratège principal, Taux américains, Valeurs Mobilières TD
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US Rates Strategist, TD Securities
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Vice-président et stratège en chef, Macroéconomie aux États-Unis, Valeurs Mobilières TD
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Directeur et chef mondial, Stratégie de change et Stratégie, Marchés émergents, Valeurs Mobilières TD
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