Entre contexte géopolitique et tarifs douaniers : le pétrole brut en reprise marquée, mais les hausses restent limitées

févr. 03, 2025 - 8 minutes
Personne vêtue d’une veste orange et d’un casque de protection inspectant des rangées de barils de pétrole bleus.

Aperçu

  • Après avoir suivi une trajectoire baissière pendant environ trois trimestres, les prix du pétrole brut WTI, qui avaient chuté à 67 $ US le baril au début de décembre, ont rebondi pour se situer dans une fourchette de négociation autour de 75 $. Ce revirement fait suite au resserrement des stocks causé par le temps froid, à l’imposition de sanctions plus sévères sur le pétrole russe et à la possibilité de restrictions strictes sur l’offre iranienne.
  • Le risque d’un conflit direct avec l’Iran, qui pourrait avoir des répercussions négatives sur les infrastructures pétrolières, et la menace d’un lourd tarif douanier de 25 % sur les 4,3 millions de barils par jour (b/j) que le Canada exporte aux États-Unis ont également incité les négociateurs à commencer à établir des positions acheteur au cours des dernières semaines.
  • Le marché adopte une position longue malgré la surproduction et la surcapacité de l’OPEP+ et la faiblesse de la demande chinoise, ce qui devrait générer un excédent d’environ 700 000 b/j au cours des six prochains mois. Les négociateurs semblent ne pas non plus tenir compte des promesses faites par la nouvelle administration Trump d’augmenter substantiellement la production de pétrole brut des États-Unis, alors qu’elle procède à des changements réglementaires pour mettre en œuvre sa politique de promotion des forages « drill, baby, drill ».
  • Compte tenu de la forte probabilité que la demande mondiale de pétrole n’augmente que d’environ un million de b/j en 2025, tandis que l’offre hors OPEP+ devrait augmenter d’environ 1,2 million de b/j, la surproduction de l’OPEP+ étant de plus d’un million de b/j avec une capacité de réserve de plus de cinq millions de b/j, il est peu probable que le pétrole continue à progresser de façon durable.
  • Toutefois, il est tout à fait possible que le WTI connaisse une hausse temporaire en cas d’intensification des tensions au Moyen-Orient en raison d’un conflit ou de l’imposition d’un régime de sanctions plus musclé à l’encontre de l’Iran et de la Russie. Des tarifs douaniers persistants sur le pétrole brut canadien pourraient aussi entraîner une hausse robuste et soutenue des prix. Cependant, compte tenu de la capacité de réserve de l’OPEP et de sa détermination à regagner des parts de marché, ainsi que du caractère probablement provisoire des tarifs douaniers sur les produits énergétiques, il sera difficile pour toute nouvelle flambée de perdurer.

Les tarifs douaniers sur l’énergie pourraient faire grimper les prix, mais il est peu probable qu’ils se maintiennent à long terme

La grande question pour le marché du pétrole sous le président Trump concerne les tarifs douaniers éventuels, en particulier ceux sur le pétrole brut canadien, et le risque de restriction des flux d’énergie en guise de mesure de rétorsion de la part du Canada. Les États-Unis importent plus de 4 millions de b/j de pétrole brut canadien, ce qui représente un peu plus de la moitié de toutes les importations américaines. Le principal problème est lié au fait que le pétrole brut canadien est lourd et sulfureux, ce qui le rend plus difficile à remplacer, surtout par un approvisionnement intérieur.

Avant le boom du pétrole de schiste aux États-Unis, les raffineurs américains transportaient principalement une qualité de pétrole brut plus lourd en provenance du Venezuela, puis du Canada. En raison des investissements importants dans ces raffineries, la capacité de raffinage aux États-Unis demeure adaptée à la manutention de ce type de pétrole brut. En ce sens, les importations canadiennes jouent un rôle très important dans l’ensemble des trois principales destinations de raffinage aux États-Unis, y compris le PADD 3 (côte du golfe du Mexique), le PADD 2 (Midwest) et le PADD 5 (côte Ouest). La côte du golfe du Mexique, la plus grande destination de raffinage, importe près de 500 000 b/j de pétrole brut canadien, ce qui représente un peu plus de 30 % des importations de pétrole brut, et ce qui fait du Canada le plus important fournisseur de la région.

De même, la côte Ouest a importé près de 400 000 b/j de pétrole brut canadien en 2024, ce qui représente plus de 30 % des importations de pétrole brut et, encore une fois, le Canada constitue le plus important fournisseur de la région. Dans le Midwest, la situation est plus radicale, le Canada représentant 100 % des importations de pétrole brut de la région, soit 2,5 à 3 millions de b/j, et plus de 60 % de la charge d’alimentation des raffineries de la région. Le Midwest est un point de pression clé, étant donné que ces raffineries ont une connectivité limitée avec l’infrastructure de pipelines de produits et de pétrole brut aux États-Unis, ce qui donne à penser que les tarifs douaniers auraient un impact important sur la région.

Le rééquipement du complexe de raffinerie américain pour prendre en charge une plus grande quantité de pétrole de schiste brut léger non corrosif est certainement une option, bien qu’il s’agisse d’une procédure coûteuse en argent et en temps qui offre peu de répit à court ou même à moyen terme.

Les principales régions de raffinage utilisent beaucoup de pétrole brut canadien

En outre, pour remplacer le pétrole brut canadien, les États-Unis devraient intégrer le marché du pétrole brut corrosif de moyen à lourd du Moyen-Orient, qui fait actuellement l’objet d’une forte demande. Le pétrole brut corrosif lourd du Venezuela, de la Colombie ou du Mexique est le produit de substitution le plus facilement accessible pour remplacer le pétrole brut canadien. Toutefois, le président Trump a déclaré que les États-Unis allaient probablement cesser d’acheter du pétrole du Venezuela, alors que la production colombienne n’est pas suffisante et que le Mexique, étant également la cible des tarifs douaniers imposés par l’administration Trump, prévoit de raffiner son propre pétrole brut.

Tout cela donne à penser que les États-Unis vont devoir intégrer le marché du pétrole brut corrosif de moyen à lourd du Moyen-Orient, qui fait maintenant l’objet d’une forte demande de la part de pays comme la Chine et l’Inde, en raison des sanctions imposées à la Russie et de l’anticipation d’une campagne de « pression maximale » sur l’Iran.

Peu importe sous quel angle on examine la question, l’imposition d’un tarif douanier au Canada qui inclut les produits du secteur de l’énergie fera augmenter le coût du pétrole brut aux États-Unis et dans le monde, puisque la majeure partie de l’approvisionnement canadien se trouvera enclavée. Cette situation pèsera sur les marges de raffinage et donnera lieu à un resserrement de l’offre et des prix des produits. Il s’agirait d’une démarche douloureuse pour toutes les parties concernées et nous pensons qu’il est peu probable que les tarifs douaniers sur l’énergie soient maintenus à long terme en raison de ce fardeau.

Par ailleurs, si le président Trump renonçait à imposer des tarifs douaniers sur l’énergie canadienne, les prix sur le marché pourraient avoir tendance à s’inverser à court terme, car le pétrole brut corrosif de moyen à lourd a récemment été le moteur de la prime de risque liée à l’offre en raison des préoccupations liées aux tarifs douaniers et aux sanctions.

La production aux États-Unis restera neutre sur le plan politique

En ce qui concerne le slogan « drill, baby, drill » du président Trump qui consiste à encourager le forage, nous nous attendons à ce que la production de pétrole aux États-Unis reste neutre sur le plan politique et continue de se fonder sur les facteurs économiques sous-jacents du marché. En ce sens, l’appétit des grands producteurs pour une augmentation importante de la production demeure faible, les perspectives du marché pour les années à venir n’étant pas entièrement optimistes, en raison notamment du ralentissement de la croissance de la demande, de la forte croissance de la production hors OPEP et de la réduction persistante de la production de l’OPEP+. En effet, des sondages ont indiqué que les entreprises ne prévoient pas d’augmenter leurs investissements en 2025.

Cela dit, la production aux États-Unis devrait croître, passant à 13,5 millions de b/j contre en moyenne 13,2 millions de b/j en 2024. La majeure partie de cette production devrait provenir du Bassin permien et est principalement attribuable à la mise en service d’un nouveau gazoduc, lequel a réduit les goulots d’étranglement dans la région, plutôt qu’aux mesures politiques prises par le président.

Cela dit, la croissance de la production aux États-Unis devrait être beaucoup plus lente. L’abondance des puits forés mais non achevés a diminué, leur nombre ayant désormais presque atteint des niveaux planchers depuis le début de la collecte des données. Cette situation donne à penser qu’il existe moins de solutions à portée de main pour accroître rapidement la production. De plus, les gisements de pétrole de schiste de première catégorie restants sont limités, et les emplacements de deuxième catégorie moins productifs ont des coûts de forage et d’achèvement semblables, ce qui les rend moins attrayants sur le plan économique. Comme le seuil de rentabilité pour les nouveaux puits varie entre 59 $ et 70 $ le baril, la volatilité des cours et le déport prononcé faisant en sorte que la couverture est moins favorable sont d’autres facteurs qui pèsent sur la viabilité d’une augmentation importante de la production.

L’inventaire des puits forés mais non achevés a presque atteint des niveaux planchers historiques

Un conflit au Moyen-Orient et un régime de sanctions musclées à l’encontre de l’Iran et de la Russie pourraient donner lieu à une forte hausse du prix du pétrole brut

Maintenant que Donald Trump occupe de nouveau la Maison-Blanche, des sanctions plus sévères à l’encontre de l’Iran sont tout à fait envisageables, et Israël, enhardi par le parti républicain, pourrait prendre des mesures militaires plus musclées contre la République islamique, malgré le récent accord de cessez-le-feu. Si une guerre généralisée devait éclater au Moyen-Orient et qu’Israël prenait pour cible les infrastructures pétrolières de Téhéran, l’Iran pourrait à son tour prendre des mesures de rétorsion contre les pétroliers qui naviguent dans le détroit d’Hormuz, ainsi que contre les pipelines et d’autres infrastructures énergétiques des nations « alliées » d’Israël et des États-Unis. Les prix du pétrole monteraient probablement en flèche. L’Iran a produit environ 3,4 millions de b/j au quatrième trimestre de 2024.

Si les flux en provenance de l’Iran étaient temporairement perturbés, les prix monteraient probablement en flèche. Toutefois, étant donné que les pays de l’OPEP disposent d’une capacité de réserve d’environ cinq millions de b/j, ce ne serait pas la fin du monde si la production et les exportations de l’Iran étaient réduites, bien qu’une érosion de la capacité de réserve donnerait lieu à une hausse des primes de risque liées à l’offre.

Si Téhéran devait attaquer les infrastructures énergétiques des pays du golfe Persique et entraver la circulation de pétroliers dans le détroit d’Hormuz, les répercussions seraient beaucoup plus graves et durables, car ces stocks ne peuvent pas être remplacés. À eux seuls, l’Arabie saoudite, les Émirats arabes unis, le Koweït et l’Irak produisent quelque 19,2 millions de b/j de pétrole brut. Par conséquent, un prix du pétrole brut de 100 $ et plus pendant une période prolongée serait fortement envisageable.

Le pétrole brut du Moyen-Orient se négocie à prime en raison des préoccupations liées aux sanctions

De même, le maintien de sanctions plus strictes contre le pétrole russe fera aussi grimper les prix, mais la capacité de réserve de l’OPEP pourrait également servir de tampon dans cette situation, limitant ainsi les hausses importantes de prix. C’est l’administration Biden qui a imposé les sanctions les plus sévères contre le pétrole russe à ce jour, désignant deux grandes sociétés pétrolières russes, 183 navires, des dizaines de négociants en pétrole, des fournisseurs de services pour champs pétrolifères, des compagnies d’assurance et des responsables dans le secteur de l’énergie comme entités sanctionnées.

Cette situation a conduit au resserrement des marchés physiques à court terme. Les écarts de taux d’une année à l’autre en décembre se sont redressés, les pétroles bruts du Moyen-Orient se négocient à prime, les taux des pétroliers du Moyen-Orient à la Chine et l’Inde ont bondi, tandis que les stocks flottants en Iran ont atteint des sommets inégalés depuis quatre mois en raison des préoccupations liées aux sanctions. En effet, les raffineurs indiens ont cessé de faire affaire avec les pétroliers russes et les sociétés sanctionnées par les États-Unis. Toutefois, les sanctions ne sont pas unanimement positives pour les marchés du pétrole brut. La dynamique de suivi pourrait nuire aux attentes déjà modestes de croissance de la demande de la Chine, en particulier des raffineurs chinois indépendants qui dépendent d’un pétrole brut sanctionné à moindre coût. La hausse des coûts d’approvisionnement en pétrole brut pour les raffineurs chinois pourrait entraîner une baisse du rythme de production et, par conséquent, un ralentissement de la demande du principal importateur de pétrole.

Les raffineurs indépendants chinois ressentent déjà l’effet des sanctions

Pour en savoir plus, téléchargez le rapport complet sur le Portail unique de Valeurs Mobilières TD


Portrait of Bart Melek

Chef mondial, Stratégie relative aux produits de base, Valeurs Mobilières TD

Portrait of Bart Melek


Chef mondial, Stratégie relative aux produits de base, Valeurs Mobilières TD

Portrait of Bart Melek


Chef mondial, Stratégie relative aux produits de base, Valeurs Mobilières TD

Bart fournit des commentaires sur les produits de base et divers autres marchés financiers et sur leur lien avec les perspectives sectorielles et macroéconomiques. Il est également une personnalité recherchée par de nombreuses publications et émissions télévisées commerciales de premier plan. Ses prévisions font également partie du consensus mondial. Il est entré au service de Valeurs Mobilières TD en 2011 avec plus de 20 ans d’expérience dans le domaine de l’analyse des marchés mondiaux des métaux précieux, des métaux communs et de l’énergie, ainsi que des marchés financiers et des économies nord-américaines et mondiales.

Portrait of Ryan McKay

Stratège principal, Produits de base, Recherche, taux, opérations de change et produits de base, Valeurs Mobilières TD

Portrait of Ryan McKay


Stratège principal, Produits de base, Recherche, taux, opérations de change et produits de base, Valeurs Mobilières TD

Portrait of Ryan McKay


Stratège principal, Produits de base, Recherche, taux, opérations de change et produits de base, Valeurs Mobilières TD

Ryan est stratège principal, Produits de base, Recherche, taux, opérations de change et produits de base à Valeurs Mobilières TD Il fait des analyses des marchés mondiaux des métaux précieux, des métaux de base et de l’énergie, lesquelles servent à élaborer des stratégies de négociation qui sont diffusées aux bureaux de négociation institutionnelle, commerciale et de détail à Toronto, à New York, à Londres et à Singapour, ainsi qu’à l’ensemble de la clientèle externe de Valeurs Mobilières TD. Avant de se joindre à Valeurs Mobilières TD, Ryan a occupé des postes du côté achat dans les domaines des opérations de change et de la gestion des actifs et des passifs mondiaux. En tant que cambiste, il était responsable de la couverture de l’exposition aux devises du fonds et négociait des opérations de change à terme et des swaps. Pour la gestion des actifs et des passifs mondiaux, il était responsable du maintien et de la réduction du risque de taux d’intérêt de portefeuille. Ryan est titulaire d’une maîtrise en économie financière de l’Université de Toronto/la Rotman School of Management et d’un baccalauréat en administration des affaires de l’Université du Nouveau-Brunswick.