Banques canadiennes : Analyse des résultats du deuxième trimestre
Dans cet épisode, nous discutons des résultats récents des banques canadiennes et abordons des sujets qui préoccupent les investisseurs et les analystes du secteur bancaire.
Animateur : Peter Haynes, directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Invité : Mario Mendonca, directeur général et analyste principal, Services financiers, Valeurs Mobilières TD
PETER HAYNES : Bienvenue à l’épisode 39 de la série balado de Valeurs Mobilières TD, Bid Out – A Market Structure Perspective from North of 49. Ici votre animateur, Peter Haynes. Aujourd’hui, j’accueille Mario Mendonca, directeur général et analyste principal, Services financiers à Valeurs Mobilières TD. Mario vient nous parler des banques canadiennes, un secteur qui représente près du quart de l’indice composé S&P/TSX, mais qui semble négligé par beaucoup d’investisseurs – étrangers pour la plupart – quand ils envisagent les actions canadiennes.
Avant de commencer, je dois rappeler à nos auditeurs que ce balado est présenté à titre informatif seulement. Les opinions dans ce balado n’engagent que les personnes qui les expriment et peuvent ou non représenter les opinions de la TD ou de ses filiales. Et bien sûr, les renseignements dans ce balado ne doivent pas être interprétés comme des conseils en matière de placement, de fiscalité ou autre.
Mario, merci de ta présence au balado aujourd’hui.
MARIO MENDONCA : Je suis ravi d’être là, Peter.
PETER HAYNES : Très bien... Tu couvres les banques canadiennes depuis près de 20 ans, notamment depuis 8 ans à Valeurs Mobilières TD. Qu’est-ce qui a le plus changé dans ta vision des banques aujourd’hui par rapport à tes débuts?
MARIO MENDONCA : En tout cas, il y a une constante et c’est la résilience du secteur bancaire. Mais s’il y a une chose que j’ai apprise à mes dépens en début de carrière, c’est... Chaque fois qu’un truc semblait clocher dans le secteur bancaire, en tant que très jeune analyste, j’accordais trop d’importance aux éventuels contrecoups.
Et ce que j’ai appris au fil des ans, et ce qui s’est vraiment amélioré, je pense, c’est ma couverture du groupe : dès que je sens qu’un truc ne va pas, je cherche un élément du modèle bancaire universel pour en atténuer l’effet. Et cette crise qu’on vient de traverser, cette pandémie qu’on connaît, met parfaitement en lumière ma façon de couvrir les banques.
Quand le monde semblait s’effondrer en mars, plutôt que d’adopter une tournure très négative à l’égard des banques, j’ai relevé la barre parce que je savais qu’il y aurait plusieurs compensations importantes, à commencer par la hausse des produits tirés des activités de négociation. Quand je pense à l’évolution de ma couverture au fil du temps, ce qui a vraiment changé c’est mon sang-froid face aux éléments négatifs – je cherche plutôt des éléments positifs compensatoires dans le modèle bancaire universel.
PETER HAYNES : Si ça se trouve, c’est un bon conseil pour les analystes qui commencent dans le secteur, à savoir : Ne vous laissez pas distraire par le bruit au quotidien – d’autant plus que, dans le contexte actuel, les médias sociaux et bien d’autres plateformes semblent dicter largement de ce qui se passe sur les marchés financiers.
Cette semaine, Banque de Nouvelle-Écosse a présenté son 2e trimestre, clos le 30 avril. C’est ce qui concluait la publication des résultats des 6 grandes banques canadiennes.
Maintenant que la poussière est retombée – et je sais que vous as publié aujourd’hui, un rapport de 51 pages qui résume le tout... Qu’est-ce qui t’a marqué le plus d’un point de vue sectoriel? Y a-t-il une banque qui s’est démarquée selon toi au 2e trimestre de 2021?
MARIO MENDONCA : Oui. Ce que je remarque, ce sont les estimations qui restent trop faibles. Il pourrait être intéressant de se pencher là-dessus. Après les annonces des banques pour le 1er trimestre, l’analyste canadien moyen a haussé ses estimations pour 2022 de 8 %. Maintenant que les banques ont annoncé les résultats du 2e trimestre, l’analyste canadien moyen augmente ses estimations de 6 %. Ainsi, depuis le début de l’année, l’estimation pour 2022 a augmenté de 14 %. Et ce sont les plus fortes hausses consensuelles que j’aie vues au cours d’une année.
C’est bien sûr attribuable en partie au crédit. Le crédit se redresse brusquement. Mais en somme, tout ça indique que la reprise est plus rapide que ce que les gens assimilent. Et je crois qu’on verra encore quelques autres trimestres où les banques surpasseront les prévisions consensuelles.
Il y a donc un élan, un élan pour les estimations, qui devraient continuer d’augmenter. C’est un des points importants que je retiens en cette fin de trimestre. Il y avait d’autres éléments, plus circonstanciés, qu’on pourra aborder tantôt. Mais voilà ce qui ressort le plus à mes yeux.
Maintenant, pour la banque qui s’est le plus démarquée... On a vu une fois de plus que BMO – Banque de Montréal – est au bon endroit au bon moment. Je m’explique... C’est une banque fortement axée sur les marchés financiers. Et les marchés financiers ont été vigoureux. Elle n’a pas tant de dépôts à vue et à préavis. Par conséquent, la baisse des taux d’intérêt ne nuit pas vraiment à la marge, comme c’est le cas pour plusieurs autres banques.
Elle ne mise pas trop sur les cartes de crédit, un produit qui pique du nez. Et elle a excellé pour ce qui est du ratio d’efficience, qu’on calcule comme le ratio des frais avant amortissement au revenu. Elle trônait déjà en tête du groupe. Elle est maintenant plutôt en phase avec le groupe.
Banque de Montréal a dégagé les meilleurs bénéfices avant impôts et provisions – et on devrait éclaircir un peu plus ce terme tout à l’heure – mais elle a la meilleure croissance trimestrielle de bénéfices avant impôts et provisions. C’était aussi le cas au dernier trimestre.
Quand je pense à l’avenir, ce que je me demande, c’est... BMO peut-elle maintenir son niveau de rendement? Ou est-ce que certains facteurs clés commencent à bouger? Ce sont des questions à se poser. Mais je me demande souvent... Qui sont les gagnants à venir, comme principaux moteurs?
PETER HAYNES : Les banques canadiennes tombent à un moment intéressant avec leurs annonces – car elles ne suivent pas le trimestre civil traditionnel, comme les banques américaines. Les banques canadiennes ont terminé le deuxième trimestre le 30 avril. Comme analyste, tu as un aperçu de ce qui pourrait venir des banques canadiennes quand les banques universelles américaines se lancent – elles suivent le trimestre civil.
Comment les banques canadiennes se comparent-elles aux américaines pour ce trimestre? Et comment une banque comme la TD s’intègre-t-elle dans cette analyse, compte tenu de sa forte présence aux États-Unis?
MARIO MENDONCA : Ce qui ressort clairement des résultats américains par rapport aux canadiens c’est que les marchés financiers sont solides dans les deux cas. Mais l’heure se prête à une très forte présence sur les marchés financiers américains. C’est là qu’on observe un élan vigoureux.
Banque Royale et Banque de Montréal sont bien placées pour profiter – surtout la première, je dirais – de toute cette vigueur aux États-Unis. La marque TD aux États-Unis est bien établie, on le sait tous. Mais ce n’est pas comparable à l’empreinte de Banque Royale ou de BMO. Dans un sens, le volet moins étoffé de la TD sur les marchés financiers américains s’avère défavorable, compte tenu de la robustesse de ces marchés.
Mais un autre facteur très important à considérer du côté des États-Unis c’est... On constate depuis un certain temps que la baisse des taux affecte les marges bancaires aux États-Unis, beaucoup plus qu’au Canada. Alors, une banque comme la TD, bien assise aux États-Unis avec des dépôts excédentaires... La TD a vu ses marges reculer davantage...
Je vous donne un exemple... La marge à l’échelle de la Banque, selon mes estimations ou mes calculs, a reculé d’environ 35 points de base sur 12 mois. Je parle de la marge d’ensemble, qui inclut les États-Unis, le Canada et tout le reste. À titre comparatif, pour certaines banques, c’est 10 ou 8 points de base.
Ce qui se passe manifestement pour la TD c’est... Elle ne profite pas de l’élan qui marque les marchés financiers aux États-Unis, mais elle souffre aussi un peu des marges aux États-Unis. En revanche, les dépenses, la réouverture aux États-Unis pourrait stimuler les dépenses de cartes de crédit et la croissance des prêts commerciaux et des prêts à la consommation. Et la TD est positionnée pour en profiter au fil des réouvertures plus tard cette année.
PETER HAYNES : D’un autre côté, on a beaucoup parlé de l’exposition de RBC aux marchés financiers aux États-Unis. Et je sais que dans le rapport publié aujourd’hui, vous parlez un peu plus du fait que tous ne comprennent pas pleinement que BMO jouit d’une forte présence sur les marchés financiers au sud de la frontière. Comment se comporte BMO en termes d’activités sur les marchés financiers?
Et devrait-on se mettre à considérer BMO et RBC un peu plus comme des banques universelles américaines vu leur forte présence sur les marchés financiers américains?
MARIO MENDONCA : Je répondrai d’abord sous l’angle du revenu total. Parmi les 6 grandes banques, les banques nationales génèrent encore plus de revenus, toutes proportions gardées, sur les marchés financiers. Et juste pour clarifier... Quand je parle de revenus des marchés financiers, je parle des produits tirés des activités de négociation, des services de prise ferme et de conseils, du courtage de valeurs mobilières et des gains sur titres. Mais les gains sur titres n’en représentent qu’une infime partie.
Environ 60 % des revenus sur les marchés financiers viennent des activités de négociation. C’est la portion dominante de l’ensemble des marchés financiers. Pour Banque Nationale, 26 % des revenus sont liés aux marchés financiers. Pour Banque de Montréal, c’est maintenant 22 % ou 23 %. Pour Banque Royale, c’est 21 %.
Curieusement, si on tient compte de l’ampleur des sources de revenus, Banque Nationale et BMO sont plus endettées sur les marchés financiers que Banque Royale. La situation pourrait changer, car Banque Royale se situe autour de 20 ou 21 %. Banque Royale pourrait se replacer.
Mais je pense que les financiers doivent réorienter un peu leur vision. Bien souvent, les gens parlent de Banque Nationale et de Banque Royale comme de grandes banques du marché financier. Je n’irais pas jusque-là. Je citerais plutôt Banque Nationale, BMO et Banque Royale sur ce front. Dans le cas de BMO, une grande partie vient des progrès réalisés aux États-Unis.
Mais ce qui ressort du trimestre – et mérite notre attention un instant, c’est Banque de Montréal et ses revenus tirés des marchés des capitaux, qui ont progressé de 16 % sur 12 mois ce trimestre. Ce succès est en partie attribuable à l’expansion aux États-Unis.
Mais il y a le reste, qu’on ne peut pas écarter : au deuxième trimestre de 2020, il y a un an, BMO n’a pas enregistré de solides résultats. Elle connaît donc une très forte croissance de revenus liés aux marchés financiers, notamment parce qu’elle a fait piètre figure l’an dernier. Quant à la TD, elle a vu ses revenus liés aux marchés financiers reculer d’environ 2 % sur 12 mois. C’est en partie parce que la TD a connu un excellent deuxième trimestre en 2020.
PETER HAYNES : J’ai toujours cru que... Quand les gens pensent aux banques canadiennes, si l’appétit est au risque au Canada et qu’ils suivent les banques, ils voient le secteur de façon homogène. Quand tu parles avec les investisseurs, trouves-tu qu’ils voient encore le secteur de façon homogène? Et le cas échéant, est-ce un bon point de vue?
MARIO MENDONCA : Je trouve cette question particulièrement intéressante. Il y a des moments où ma couverture des banques canadiennes est essentiellement... Je perçois parfois une grande banque, composée des six grands noms. Et ce que je fais... j’ai tendance à faire ça quand les choses sont plutôt stables et qu’on n’observe pas de croissance exceptionnelle, mais pas effondrement non plus...
Il m’arrive dans mon travail de faire exactement ça –
je fais un amalgame des six. Je les considère comme une seule banque, et je m’en remets au secteur, sans trop chercher à les considérer individuellement. Cette approche s’est avérée efficace au début de 2020, et voici pourquoi...
Tout s’est effondré en 2020... En mars 2020, on est tous au courant. Tout s’est effondré. Tous les titres bancaires étaient bon marché. Le rapport que j’ai rédigé disait « allez-y! ». Parce que je m’intéressais peu à l’éventuelle croissance des revenus dans un secteur ou un autre. Tout semblait si bon marché.
Maintenant, il faut user d’un peu de prudence, car les thèmes centraux du secteur en 2021, par exemple... Non... Plus tard en 2020 et au début de 2021, les grands thèmes, soit les marchés financiers comme moteurs, le resserrement de la marge d’intérêt nette et la diminution des dépenses par carte de crédit... tout ça finit par évoluer. Et les gagnants du début de 2021, voire de la fin de 2020, peuvent changer.
À mesure que les choses évoluent, certaines banques – comme BMO et Banque Nationale, par exemple, qui étaient dans la situation idéale et ont surperformé au premier semestre de 2021, pourraient descendre de leur piédestal au deuxième semestre de 2021, si ça se passe comme je le pense et que les thèmes changent. Les banques sont donc homogènes, j’en conviens. En fait, c’est ainsi que je vois les choses. Mais il y a des moments – et on en traverse un, je dirais –, où il faut exercer un peu plus de discernement.
PETER HAYNES : C’est un peu comme le marché qu’on connaît, Mario. Quand le marché est directionnel, tout évolue. Ensuite, il y a le contexte de la sélection des titres.
Comme tu suis le secteur bancaire, j’en conclus que tu sais reconnaître ce contexte où mieux vaut suivre le secteur dans l’ensemble, comme pondération marché, plutôt que de prendre des paris.
Et d’après ce que tu dis, le moment est venu de commencer à distinguer le bon du mauvais, et peut-être de prendre certains paris.
Mais je dois dire qu’en parcourant ton rapport aujourd’hui, je me suis dit... J’évolue dans un univers de structure des marchés, où on nous reproche d’utiliser une tonne d’acronymes que personne ne comprend. Puis je lis ton rapport, et il y a une foule d’acronymes là-dedans que je ne déchiffre pas toujours, dont un que je vois partout et que j’aimerais que tu explicites.
Tu l’as évoqué plus tôt, cette notion « avant impôts et provisions », désigné en anglais par l’acronyme PTPP. Quand cette mesure est-elle devenue importante? De quoi s’agit-il exactement?
MARIO MENDONCA : Avant impôts et provisions. Il s’agit donc des résultats avant impôts, avant d’enregistrer les pertes sur créances. Il s’agit essentiellement des revenus moins les dépenses, sans tenir compte des pertes sur créances.
La raison de cette mesure... Oui, il arrive de temps à autre aux États-Unis qu’on l’utilise, mais ce qui motive son utilisation au Canada, c’est surtout qu’au 1er trimestre de 2018, une nouvelle norme comptable est entrée en vigueur, l’IFRS 9. L’IFRS 9 a modifié la façon dont les banques enregistrent les pertes sur créances.
Avant, on suivait un modèle fondé sur les pertes subies – on attendait qu’une perte sur créance se concrétise avant de l’enregistrer. Mais en vertu de l’IFRS 9, qui a pris effet au 1er trimestre de 2018, on est passé à un modèle fondé sur les pertes de crédit attendues.
Je vais vous donner un exemple... En mars 2020, quand le monde semblait s’effondrer, les attentes des banques à l’égard de futures pertes futures sont montées en flèche, car beaucoup de gens perdaient leur emploi. Les banques ont cumulé plusieurs milliards de dollars en prévision de pertes sur créance. Par conséquent, leurs bénéfices se sont effondrés aux 2e et 3e trimestres de 2020. C’était un désastre, elles réservaient des milliards en provisions pour pertes prévues.
Les questions ont émergé – pour moi et d’autres analystes du secteur – quant à ces pertes sur créances attendues, qui ne sont pas réelles. Les banques n’ont pas perdu d’argent. On s’est donc mis à examiner le résultat avant impôts et provisions pour évaluer le potentiel sous-jacent des banques en termes de bénéfices et ainsi faire de toutes ces pertes sur créances attendues.
Maintenant, l’inverse se produit. Les pertes sur créances attendues n’ont pas eu lieu. À certains égards, on a socialisé les pertes grâce à un solide soutien gouvernemental. Maintenant, les réserves couvrant toutes ces pertes sur créance attendues sont réinvesties dans les bénéfices. Ainsi, les banques publient des résultats records depuis deux trimestres. Mais leur performance est en fait attribuable au déblocage des réserves.
Bref, comme on a fait en 2020, en excluant d’énormes pertes éventuelles liées au crédit, on exclut maintenant la vaste reprise des provisions pour créances – c’est essentiellement l’inverse de 2020. Il est tout à fait logique de voir les choses sous cet angle parce qu’on ne voulait certainement pas pénaliser les banques pour toutes les pertes sur créances attendues en 2020. De même, on ne veut pas les récompenser pour le vaste déblocage qui s’opère maintenant. C’est pourquoi les résultats avant impôts et provisions sont si intéressants.
PETER HAYNES : Et par souci de clarté, Mario : Est-ce adopté universellement dans les banques aux États-Unis et les différents... et par tous les analystes et les investisseurs à qui vous avez parlé? Est-ce que tout le monde voit les choses de la même façon? Ou est-ce que certains estiment que les règlements IFRS ont leur raison d’être et qu’on doit tenir compte de ces pertes potentielles en acceptant cette volatilité à partir de maintenant? Qu’en penses-tu?
Tout le monde s’entend sur cette mesure avant impôts et provisions?
MARIO MENDONCA : Probablement. Je vais te donner une idée de la nature de mes échanges avec les investisseurs... On commence par une brève discussion sur le BPA. Et dès que j’aborde le BPA, je divise la question en deux volets. Je dis : le BPA a augmenté de 150 % ce trimestre, mais on parle d’un résultat avant impôts et provisions en hausse plus des réserves pour créances de « tant » – 90 % des réserves ont été reprises, plus ou moins. Alors, on maintient l’accent sur le BPA. Mais au moment d’analyser le BPA, on divise l’information pour faciliter la compréhension. Et pour ce qui est de l’acceptabilité des bénéfices avant impôts et provisions, ça va! Les banques en parlent maintenant dans leurs présentations, probablement même plus que du BPA. Moi, j’en parle plus aux investisseurs.
Et quand j’écoute les appels aux États-Unis, je constate que la discussion « avant impôts et provisions » domine souvent. Et il le faut, car les provisions liées au crédit sont si absurdes... OK, « absurdes » n’est pas le bon mot. Elles sont très volatiles en vertu des nouvelles normes comptables. C’est juste logique.
PETER HAYNES : Je propose de poursuivre en parlant de tes échanges actuels avec les investisseurs.
Quand vous parlez du trimestre et des perspectives, qu’est-ce qui préoccupe le plus les investisseurs en ce moment, en regard des banques canadiennes? Est-ce que des thèmes courants ont été soulevés par les analystes dans la période de questions avec la direction lors des six appels?
MARIO MENDONCA : On a consacré beaucoup de temps à parler de l’effet des taux d’intérêt. Tout le monde se prépare en vue de l’inflation. À un moment donné, il y aura de l’inflation. À un moment donné, il y aura une inflation des prix, qui va se traduire par des taux d’intérêt plus élevés. Les banques, pour la plupart, passent un certain temps à afficher leur sensibilité pour ce qui est des bénéfices en regard d’une hausse des taux d’intérêt.
Je trouve que les analystes se sont vraiment attachés à disséquer cette information. Et il est devenu évident que... Encore une fois, c’est une chose que j’avais entrevue et que j’avais abordée dès janvier 2021, en divisant plus ou moins le groupe en sous-groupes, soit ceux qui risquaient d’être très sensibles à la hausse des taux d’intérêt, et les autres, apparemment moins sensibles à la hausse des taux d’intérêt.
On a accordé beaucoup d’attention à ce sujet durant l’appel, et c’était logique. Par ailleurs, ce que les investisseurs veulent vraiment savoir, pratiquement lors de chacun de mes appels, c’est : quand les banques augmenteront-elles leurs dividendes? Quand vont-elles racheter des actions? Que vont-elles faire de cette surcapitalisation? Parce qu’ici, vous le savez sûrement, nos banques couvent d’importants ratios de capital. On croyait que le monde allait s’écrouler. Les rachats d’actions n’étaient donc pas permis. Les hausses de dividendes non plus. On a dit aux banques de préserver leurs fonds propres.
Et elles l’ont fait. Aujourd’hui, elles affichent des ratios de capital très élevés. Et elles cherchent à s’orienter. Les investisseurs font bien de s’intéresser au déploiement du capital.
PETER HAYNES : Les banques américaines sont en avance sur les banques canadiennes – elles n’ont pas les mêmes restrictions sur la remise de capital aux actionnaires, du capital excédentaire aux actionnaires au-delà des taux de dividende ou des rachats. Au Canada, évidemment, il y a ces limites à respecter, et tout le monde est un peu en mode veille. Quand est-ce que le BSIF modifiera les règles?
Quelle est ta meilleure estimation en ce sens, pour que les banques redistribuent le surplus de capital? Et peut-être, d’un point de vue fondamental... Qu’est-ce que ça signifie au juste quand les banques ont trop de fonds propres? Quelle est l’incidence sur les ratios, qui complique la tâche aux investisseurs pour comprendre les évaluations?
MARIO MENDONCA : Le ratio de fonds propre d’une banque, en termes simples, c’est l’avoir des actionnaires qui s’affiche dans le bilan, soit l’actif moins le passif, moins la survaleur. Ça ne comprend par la survaleur, qui est intangible. On peut voir ça comme la valeur nette tangible des actionnaires. Je simplifie un peu, mais c’est une analogie convenable.
Et divise ça par le risque que les banques prennent. Le risque de crédit est le plus important. Mais il y a aussi le risque de marché, le risque opérationnel, qui représente le capital divisé par le risque.
Ce qui arrive depuis un moment... Parce que les banques ne paient pas et évitent de majorer les dividendes, de racheter des actions ou d’effectuer des opérations, les actions de leurs actionnaires continuent de monter. Elles ont beaucoup augmenté.
Ainsi, le numérateur du calcul atteint des niveaux vraiment très élevés. Mais le dénominateur, soit la mesure du risque, n’a pas évolué de cette façon. Le risque n’a pas culminé, en partie parce qu’on a plus ou moins socialisé le risque grâce au solide soutien gouvernemental. Le dénominateur n’a donc jamais augmenté autant que prévu, mais le numérateur a continué de monter. Alors, nos ratios de fonds propres sont devenus très élevés.
Maintenant, qu’est-ce que ça veut dire? Quelles sont les conséquences? Si le capital est élevé et que les prix sont faibles, le rendement des fonds propres finit par diminuer quand le capital est trop élevé.
Ça ne pose pas problème aujourd’hui – les banques continuent de faire beaucoup d’argent. Pour les deux derniers trimestres, les 6 grandes banques affichent des bénéfices records. Les RCP sont tout à fait acceptables.
Mais qu’est-ce qui arrive suivant la reprise des réserves pour créances? Qu’est-ce qui arrive quand les provisions s’estompent et qu’on revient à un contexte de bénéfices plus normal? Eh bien, on perd du lustre en terme de RCP. C’est déplorable, car le RCP est un des éléments clés sur lesquels on mise pour stimuler l’évaluation d’une banque.
Il vient un moment où il faut utiliser le capital. À vrai dire, je suppose... Le meilleur moyen de gérer la question, c’est... Oui, la détention d’un grand capital est une bonne chose, ce sont des fonds propres des actionnaires, c’est du solide, etc. Mais il y a des conséquences à long terme quand on s’abstient d’utiliser le capital. Je reviens à ta première question : Quand est-ce que ça devrait se faire? Je crois vraiment que le BSIF – le BSIF, notre organisme de réglementation qui régit les décisions financières – je crois que le BSIF va s’aligner sur les réouvertures. Selon moi, le BSIF n’a pas l’intention d’agir tant que le Canada n’aura pas l’air normal.
Quand l’Ontario et les autres grandes provinces vont se remettre en branle et qu’on se remettra à fréquenter les restaurants, qu’on retournera à la normale... ce qui pourrait arriver dans les prochains mois, idéalement, je pense que le BSIF sera prêt, c’est-à-dire quand une majorité de la population sera vaccinée. Les gens du BIF se diront : OK, le pire est passé.
C’est à ce moment que les banques seront autorisées à augmenter les dividendes et à racheter des actions. Maintenant, on verra si tu m’amènes sur le sujet, mais on devrait parler un peu de ce que ça signifie en ce qui a trait à l’augmentation des dividendes, des types de rachats ou d’acquisitions possibles. Pour ce qui est des délais, je dirais d’ici un mois ou deux... Et plus tard cette année, on assistera au remboursement de capital.
PETER HAYNES : Allons-y! On poursuit là-dessus... Quelle est l’importance... si tu songes aux banques pour la suite... S’agit-il des mesures clés qui t’intéressent dans le cadre de tes évaluations? Dans quelle mesure tes perspectives tendent-elles vers « le plus tôt possible » et cet espoir que les banques canadiennes arrivent à rembourser le capital excédentaire?
Et enfin, pour ajouter à la complexité : est-il possible que les banques canadiennes réinvestissent le capital plutôt que de le rembourser?
MARIO MENDONCA : Peu importe si les banques augmentent leurs dividendes dans un mois ou six. Que ça se passe maintenant ou dans six mois, ça n’a aucune incidence sur mes perspectives. Ce qui compte, c’est qu’au moment venu, toutes les banques agissent et augmentent leurs dividendes.
Et je veux voir de fortes hausses de dividendes. Je veux une augmentation de 5 %. Je me réjouirais de voir un dividende à deux chiffres, comme 13 %, 14 % ou 15 %, qui honorent quelques facteurs.
D’abord, le temps perdu, à savoir le temps écoulé depuis la dernière augmentation des dividendes. Ensuite, ce serait un signe de confiance envers la durabilité des bénéfices. En augmentant fortement le dividende d’un coup. Voilà qui enverrait le bon message aux financiers. Mais que ce soit maintenant ou dans six mois m’importe peu.
En termes de rachats, je ne crois pas que nos banques vont racheter 5 % ou 6 % de leurs actions en circulation au moment venu. Ça me semble irrecevable. Au chapitre des services bancaires, si j’avais du galon dans une banque, je ne sais pas si je voudrais racheter autant d’actions. Il y a sûrement de véritables occasions, des occasions de croissance interne, susceptibles d’absorber une partie du capital excédentaire.
Il pourrait y avoir de belles acquisitions côté gestion de patrimoine, services-conseils, conseillers aux États-Unis ou ententes bancaires régionales. J’aimerais mieux que... S’il n’en tenait qu’à moi, voilà le point de vue que j’adopterais : J’augmenterais fortement les dividendes, de l’ordre de 13 % ou 14 %, pour montrer aux financiers à quel point j’ai confiance en mes bénéfices. Je commencerais à racheter des actions, dans une fourchette de 2 % à 3 %, juste assez pour mouiller le bec de ceux qui en ont besoin.
Puis je chercherais activement des moteurs pour faire progresser mes ouvertures et mes options stratégiques aux États-Unis. Ça peut passer par une franchise régionale américaine ou des conseillers ou des acquisitions sur les marchés financiers. Mais vraiment, il faudrait en profiter pour conclure une entente.
Et si les financiers lèvent le nez parce que ça paraît cher ou difficile. C’est sans importance. Il suffit de gérer. Les financiers seront confondus. Oh, vous avez payé trop cher pour x, y ou z. Très bien. Dans deux ou trois ans, avec le recul, vous constaterez que c’était quand même le bon moment. C’était cher, oui.
Mais jetez un œil aux acquisitions par la TD de Banknorth et de Commerce Bank. Les gens s’alarmaient quant au prix de ces opérations à l’époque. Imaginez la TD aujourd’hui, sans Commerce et Banknorth... Quelle serait la position de la TD sans cette forte présence aux États-Unis?
En bref, je dis allez-y! Payez trop cher s’il le faut. Ce sera avantageux au bout du compte.
PETER HAYNES : Une chose que j’ai trouvée intéressante, Mario, juste après l’élection américaine, il y a eu quelques achats dans le secteur bancaire, de l’extérieur du Canada. Historiquement, on constate que les comptes étrangers et américains, en particulier, tendent à sous-pondérer les banques canadiennes. C’était vraiment agréable d’observer une ouverture au risque de la part d’étrangers.
Pourquoi les comptes mondiaux tendent-ils à sous-pondérer les banques canadiennes? Est-ce dû à cette idée tenace qu’une crise hypothécaire est imminente au Canada, vu la mauvaise compréhension des créances hypothécaires garanties? Serait-ce cette tendance à détourner l’attention des investisseurs internationaux des banques canadiennes? Et est-ce que le vent tourne?
MARIO MENDONCA : Oui, c’est vraiment... Je travaille de la maison et je n’ai pas l’afficheur, comme à l’habitude. Je pourrais sans doute utiliser mon téléphone cellulaire. Mais je me souviens, j’étais dans mon bureau à la TD avant le grand chamboulement, et je regardais l’afficheur. Si je voyais l’indicatif 212, je savais d’où venait l’appel... de quelle région, du moins – c’est encore l’indicatif de New York, je crois. Je voyais l’appel rentrer, et je savais que j’aurais au bout de la ligne un investisseur de fonds de couverture américain qui allait s’exclamer sur la piètre qualité du marché de l’habitation canadien et me dire comment le marché hypothécaire allait détruire les banques canadiennes. J’énumérais alors toutes les raisons pour lesquelles le secteur de l’habitation canadien diffère de celui des États-Unis.
Et c’était chose courante pour moi. Tous les deux ou trois ans, les Américains s’emballaient et me disaient à quel point notre marché de l’habitation allait détruire les banques canadiennes. Je pense que c’est encore le cas à ce jour.
Mais c’était le contraire quand j’avais un appel du Royaume-Uni ou d’ailleurs en Europe. Invariablement, on m’appelait pour dire que nos banques canadiennes sont vraiment stables, surtout en comparaison des banques européennes. J’ai toujours trouvé ça intéressant d’être en mesure de savoir, selon mon afficheur, le genre de conversation que j’aurais.
Je constate aujourd’hui que les investisseurs américains étaient nombreux à s’intéresser aux banques canadiennes pendant un certain temps. Ils se sont plus ou moins placés en retrait. Je n’en entends plus beaucoup parler. Et je m’intéresse un peu plus à l’Europe. Je reçois des courriels et des appels à ce sujet. Mais il ne faut pas exagérer. Ce n’est pas... Les activités ne vont pas vraiment bon train en dehors du Canada.
Mon gagne-pain, le beurre pour moi, c’est le grand investisseur canadien, les grands fonds de dividendes au Canada. Ce sont les gens à qui je parle. Disons que 90 % à 95 % de mon temps sont consacrés aux grands investisseurs canadiens.
PETER HAYNES : Il est temps de conclure sur une note peut-être plus générale en évoquant les menaces, disons « existentielles », visant le secteur... Beaucoup de gens parlent de désintermédiation des sociétés de confiance, comme les banques, et du passage aux services bancaires numériques – en particulier chez les milléniaux. Y vois-tu une réelle menace pour le positionnement des banques?
En ce sens, crois-tu que les banques canadiennes en font assez pour s’adapter aux nouveaux comportements des clients?
MARIO MENDONCA : Nos banques canadiennes présentent d’énormes avantages qui, selon moi, ne sont pas près de disparaître. L’ampleur des services et le lien de confiance avec les clients sont difficiles à battre. Et même si je perçois une forte pression sur les marges bancaires, un peu comme dans le secteur des paiements, où des acteurs numériques entrent en scène et grignotent la marge – oui, c’est menaçant...
Mais je rappelle que j’ai appris au fil du temps à ne pas trop amplifier les choses qui pourraient menacer les banques canadiennes. Elles sont capables de mettre en place les gens, les ressources et les sommes nécessaires pour rester concurrentielles au Canada. Y compris sur le plan numérique.
Il y a environ cinq ans, les analystes s’agitaient au sujet des technologies financières qui allaient mettre fin au secteur bancaire canadien. Il s’est avéré que c’était tout sauf ça. Les banques canadiennes se sont alliées aux sociétés de technologies financières. Elles ont même investi dedans et ont fait progresser leur stratégie numérique.
Je ne vois pas en quoi les banques canadiennes seraient menacées par le numérique. Oui, je suis certain qu’il y a des gens qui pensent que tout ça marque la fin du secteur bancaire, et que les banques seront anéanties par les technologies financières. Mais je ne suis pas du tout d’accord. Nos banques canadiennes sont très compétentes et ont les ressources nécessaires.
N’oublions pas qu’elles ont la confiance des gens. Les consommateurs continuent de faire confiance aux banques canadiennes. Et c’est un avantage difficile à démanteler. Non, je ne m’inquiète pas à ce sujet.
PETER HAYNES : Mario, on a fait un bon tour d’horizon aujourd’hui pour mieux comprendre les banques et ventiler les chiffres. J’apprécie vraiment le temps que tu nous as accordé. Je rappelle à nos auditeurs que l’équipe de Mario vient de publier un rapport détaillé aujourd’hui sur le dernier trimestre. On y trouve ses perspectives sur les banques canadiennes. Si vous voulez approfondir le sujet, jetez un œil à ce rapport.
Mario, merci beaucoup d’avoir participé à notre série de balados. J’espère que tu auras l’occasion de réfléchir un peu aux banques quand tu arpenteras les terrains verts du club de golf Scarboro cet été. Je te souhaite la meilleure des chances, et encore merci!
MARIO MENDONCA : Merci. Au plaisir de se revoir, Peter!
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Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter s’est joint à Valeurs Mobilières TD en juin 1995 et dirige actuellement notre équipe Recherche, Structure des marchés et indices. Il gère également certaines relations clés avec les clients institutionnels dans la salle des marchés et anime deux séries de balados, l’une sur la structure des marchés et l’autre sur la géopolitique. Il a commencé sa carrière à la Bourse de Toronto au sein du service de marketing des indices et des produits dérivés avant de rejoindre Le Crédit Lyonnais (LCL) à Montréal. Membre des comités consultatifs sur les indices américains, canadiens et mondiaux de S&P, Peter a siégé pendant quatre ans au comité consultatif sur la structure du marché de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.