Réconforter les détenteurs d’obligations additionnelles de catégorie 1 durant une crise bancaire
Par : Asad Husain, Victor Blanchard, Christy Jenkins
31 mars 2023 - 5 minutesAprès quelques semaines décisives sur les marchés, Asad Husain et Victor Blanchard, cochefs, Marchés des capitaux d’emprunt, Groupe Institutions financières, Europe, ont demandé à Christy Jenkins, chef, Solutions de capital, Marchés des capitaux d’emprunt, d’examiner l’évolution actuelle du secteur bancaire et de discuter des répercussions possibles sur le marché obligataire pour les émetteurs et les investisseurs.
Nous avons tous vu ce qui s’est passé au cours des deux dernières semaines. Que pensez-vous du secteur bancaire? Voyez-vous un risque de contagion?
Si l’on examine la situation de Credit Suisse (CS) et des banques régionales aux États-Unis, en particulier la Silicon Valley Bank (SVB), on peut difficilement extrapoler à l’ensemble des banques européennes et des grandes banques américaines. Selon moi, les événements peuvent être réduits à des problèmes spécifiques à certaines banques. La situation de Credit Suisse était en fin de compte une question de viabilité, d’une fuite importante de clientèle, qui a culminé avec une forte sortie des dépôts. Les problèmes de la SVB peuvent être très simplement résumés en une combinaison de réglementation laxiste des banques régionales et d’un modèle d’affaires particulier et risqué. La plupart de ces facteurs ne s’appliquent tout simplement pas aux banques européennes, du moins pas dans la même mesure. Cela dit, le risque de contagion dépend également de la confiance, et de toute évidence le moral des investisseurs a été miné par les événements des dernières semaines.
Quant à Credit Suisse, il y a amplement de matière à discussion, mais nous manquerions de temps. Concentrons-nous donc sur le plus important : la situation des détenteurs d’obligations additionnelles de catégorie 1 (obligations AT1). Cependant, je pense qu’il existe des dispositions dans la loi suisse sur les banques et dans les prospectus d’obligations AT1 qui nous empêchent d’extrapoler aux obligations AT1 dans d’autres pays.
Concernant une telle extrapolation, il faut se rappeler que les organismes de réglementation disposent d’un large éventail d’outils pour agir rapidement en situation de crise. Ils doivent limiter l’instabilité et éviter d’utiliser les fonds publics. Les détenteurs d’obligations dépendent de ces décisions. Il faudra peut-être examiner plus attentivement ce facteur de risque à l’avenir. Ce qui s’est produit en Suisse en est la preuve; l’adoption de l’ordonnance d’urgence a donné à l’organisme de réglementation le pouvoir nécessaire pour radier les obligations AT1. À l’heure actuelle, je ne vois pas de nécessité immédiate pour les organismes de réglementation bancaire de l’Union européenne, du Royaume-Uni ou d’ailleurs de modifier fondamentalement leurs lois pour clarifier le risque associé aux obligations AT1. Toutefois, les émetteurs voudront peut-être ajouter ces facteurs de risque dans le prospectus de leurs obligations AT1, ou alors renforcer l’application de certaines exigences réglementaires et ajouter des précisions à leurs présentations aux investisseurs.
Pour rassurer davantage les investisseurs sur leur liquidité, qu’est-ce que les émetteurs pourraient faire?
J’imagine que les émetteurs ont reçu beaucoup d’appels d’investisseurs qui voulaient être rassurés et obtenir des précisions sur leur bilan. Parmi les données qui font l’objet de diligence raisonnable accrue par les investisseurs ces temps-ci et pour lesquelles ceux-ci aimeraient avoir plus d’information, il y a, du côté des actifs, le portefeuille de placement. On veut en particulier connaître la répartition entre les coûts amortis et la juste valeur des autres éléments du résultat global, et la façon dont ils sont comptabilisés. L’une des données clés que les investisseurs examinent, à tort ou à raison, est l’effet potentiel que la valeur au marché des titres du portefeuille de coûts amortis a sur les fonds propres de catégorie 1, même s’il est peu probable que ce portefeuille soit vendu. C’est un élément que les investisseurs examinent depuis la débâcle de la SVB.
Également, tout ce qui concerne la gestion du risque de taux d’intérêt. Les banques européennes, par exemple, utilisent beaucoup les instruments de couverture, contrairement à la SVB. Toute information permettant aux investisseurs de comprendre comment les banques gèrent le risque lié à la gestion des actifs et du passif est utile. Pour ce qui est des dépôts – et compte tenu de la part importante de déposants non assurés de la SVB et de Credit Suisse, les institutions doivent fournir autant de détails qu’elles peuvent sur leur composition.
Divers organismes de réglementation ont publié des communiqués sur le rang des titres de crédit. En ont-ils fait suffisamment pour rassurer les investisseurs sur les obligations AT1?
Jusqu’à un certain point, oui, les communiqués ont été utiles pour confirmer que le rang des obligations AT1 était plus élevé que celui des fonds propres dans le cadre d’une résolution bancaire, et je pense qu’il est important de le répéter. Cependant, il reste encore des préoccupations plus larges auxquelles les détenteurs d’obligations AT1 doivent penser un peu plus.
Premièrement, quel est le risque associé aux obligations hors d’une situation de résolution bancaire, par exemple, pour fournir des liquidités de soutien à une institution solvable ou dans le cadre d’une fusion et acquisition d’urgence? Les parties concernées devront peut-être travailler plus fort pour bien comprendre le risque auquel les porteurs sont exposés, plutôt que de le faire dans le cadre d’une résolution bancaire, quand les outils sont plus clairement définis et quand s’applique la règle voulant que les créanciers soient en meilleure position financière après la résolution bancaire qu’ils ne l’auraient été si l’institution avait été liquidée.
Deuxièmement, quelle est l’importance du mécanisme de perte, c’est-à-dire la conversion en actions versus la radiation? Devrait-il y avoir une différence dans l’évaluation? Les investisseurs développeront-ils une préférence pour l’un ou l’autre? Actuellement, il est raisonnable de soutenir que la conversion en fonds propres devrait assurer le maintien du rang des créanciers, tandis qu’une perte permanente par radiation expose les porteurs d’obligations à des issues moins favorables.
Mon troisième et dernier point est qu’il est aussi important de comprendre les répercussions de l’aide sous forme de liquidités. Selon moi, nous tenons pour acquis qu’une telle aide est toujours là et qu’elle a toujours été utilisée au niveau du secteur en période de crise. Cependant, je ne pense pas qu’on sache clairement comment le soutien gouvernemental sous forme de liquidités offertes aux banques individuelles influence les éléments qui déterminent la viabilité des obligations AT1. En règle générale, ces éléments sont liés au soutien à la solvabilité; il sera donc essentiel de comprendre comment l’injection de liquidités dans une banque solvable peut créer un fardeau partagé entre les instruments de capitaux propres et comment un tel mécanisme fonctionne.
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