Le roulé de trois pieds
Animateur : Peter Haynes, directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Invités : Frank McKenna, président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Dans l’épisode 29, Frank McKenna aborde un large éventail de sujets, y compris les difficultés liées au transport aérien et les personnes qui devraient être tenues responsables de la position du Canada comme l’un des pires pays en ce qui concerne l’arrivée des vols à temps. Frank parle du renversement pacifique du gouvernement sri-lankais et prévient que d’autres pays émergents, comme le Honduras, le Brésil et le Guatemala, figurent sur sa liste de pays à surveiller et qui risquent de connaître des soulèvements semblables. Il discute de la sortie de Boris Johnson de la scène politique britannique et de sa propre réaction face à la hausse de 100 points de base du taux d’intérêt de référence de la Banque du Canada. Enfin, il donne son avis sur les audiences portant sur les événements du 6 janvier 2021 et sur la question de savoir si le ministère de la Justice inculpera l’ancien président Trump d’un crime pour ses actes entourant l’émeute.
FRANK MCKENNA : Je ne sais pas si les banques centrales pourront réussir un atterrissage en douceur. Selon moi, elles peuvent venir à bout de l’inflation, mais vont-elles y arriver sans déclencher une récession? Là est la question.
PETER HAYNES : Bienvenue à l’épisode 29 du balado mensuel de VMTD sur la géopolitique, en compagnie de l’honorable Frank McKenna. Ici Peter Haynes. J’anime aujourd’hui cet épisode intitulé « Le roulé de trois pieds ».
Avant de commencer, je rappelle à nos auditeurs que ce balado de Valeurs Mobilières TD est offert à titre informatif seulement. Les opinions dans ce balado n’engagent que ceux qui les expriment et peuvent ou non représenter les opinions de la TD ou de ses filiales. Il ne s’agit pas de conseils en matière de placement, de fiscalité ou autre.
Frank, j’espère que tu passes un bel été jusqu’à maintenant. Peux-tu nous donner une idée ou un sommaire de tes activités au cours du dernier mois?
FRANK MCKENNA : Oui. Comme toujours, je mets le cap sur l’est pour l’été. J’ai beaucoup à faire ici. Je planifie toutes mes rencontres avec des dirigeants ou autres sur la côte est en cette période, où je tiens aussi mon rassemblement annuel du Fox Harb’r. On a reçu 300 personnes cette année, y compris deux premiers ministres, plusieurs de leurs homologues et d’autres ministres. C’est du travail, et l’événement vient de se conclure. Je retourne à mon horaire régulier maintenant. Tout va bien.
On a aussi dû vaincre la COVID, qui nous a isolés une semaine. Mais on s’est remis en marche.
PETER HAYNES : Tu n’es pas le seul à avoir attrapé la COVID. Moi, j’ai voyagé. J’ai eu l’occasion d’aller voir les Jays à Seattle. Mon fils travaille là-bas cet été. J’ai invité ma mère de 85 ans à m’accompagner et elle a eu la COVID en voyage. C’est un fait, tout le monde l’attrape, et je suis heureux d’annoncer que ma mère se rétablit, comme pratiquement tout le monde. Espérons que cette vaccination quadruple ou triple d’une majorité de la population – du moins en Amérique du Nord – renforcera l’immunité collective pour que les gens infectés ne soient pas trop malades.
Mais je dois dire que c’est mouvementé cet été pour nombre de gens qui veulent se déplacer et faire une escapade estivale. Dans mon entourage, toutes les personnes qui ont voyagé récemment parlent de bagages perdus, d’escales ratées, d’annulations, de retards, etc. Et j’en suis! J’imagine que tu as vécu une histoire du genre dans tes derniers déplacements.
Au début de juillet, FlightAware classait le Canada en bas de liste pour le respect des horaires d’arrivée, Air Canada arrivant en queue de peloton avec 67 % de vols en retard... Crois-tu qu’Ottawa devrait tenir les transporteurs canadiens responsables de la piètre situation?
FRANK MCKENNA : Pourquoi pas. Cela dit, les compagnies aériennes devraient aussi tenir Ottawa responsable de sa participation au problème. C’est multidimensionnel, comme le sont souvent les grands enjeux, Peter. Juste pour te donner une idée, c’est le gouvernement du Canada qui contrôle ArriveCAN, le site, et les exigences de vaccination. Il participe donc au problème.
Et il y a la sécurité dans les aéroports – quel chaos! À l’international et au pays, la sécurité est gérée par diverses agences gouvernementales, divers syndicats, etc. Il y a un manque de personnel. C’est contre-productif.
Peter, tu voyages beaucoup... Aux États-Unis, grâce au TSA PreCheck, tu n’as qu’à avancer... Tu gardes ton manteau et tes chaussures, tu laisses les gels et liquides dans ton bagage à main, ton ordinateur dans son étui, tout! Suffit d’envoyer tes choses dans le système et tu les récupères de l’autre côté.
Au Canada, l’équivalent serait... ressemble à NEXUS, ou à d’autres laissez-passer pour voyageurs de confiance – la file est moins longue. Sinon, c’est le dépouillement jusqu’aux soutifs, carrément! La sécurité ne jette pas de lest pour les liquides, les ordis, etc. La moitié des bagages sont détournés pour vérification, ce qui freine le système. Même les voyageurs de confiance sont traités bien différemment qu’aux États-Unis. Le processus est plus long que nécessaire.
Voilà un modèle inefficace qui ne relève pas des transporteurs, mais surtout du gouvernement du Canada. Quant à la manutention des bagages, elle relève à la fois du transporteur et de l’autorité aéroportuaire. Certains problèmes sont de nature mécanique. Ceux-là relèvent de l’autorité aéroportuaire.
Air Canada n’avait pas prévu que les voyages reprendraient si vite. Elle manque de personnel, mais c’est le cas de toutes les sociétés nord-américaines en ce moment, qui recherchent une main-d’oeuvre. En bref, je dirais qu’Air Canada porte une part de responsabilité. Mais elle partage les torts avec beaucoup d’autres, qui ont contribué à faire des aéroports canadiens une honte à l’échelle mondiale.
PETER HAYNES : C’est bien connu : il ne faut pas gaspiller les occasions d’une bonne crise... Peut-on corriger le tir, Frank? Est-ce que l’enjeu capte l’attention d’Ottawa au point où l’on peut envisager la création d’une équipe donnée ayant pour but de retirer le Canada d’une liste peu glorieuse?
FRANK MCKENNA : À mes yeux, ça ne fait pas de doute. Je m’attaquerais d’abord à un morceau du puzzle, soit les passeports et visas. Une petite équipe est en place pour y voir, mais dès le départ, j’échangeais avec un des ministres... Il m’a dit que le grand responsable des aéroports est hors de lui. Il a rassemblé ses délégués, qui ont mis une demi-heure à lui expliquer la source du problème, mais il a dit : je ne veux pas plus de détails sur la nature du problème, je veux savoir ce que vous allez faire pour le régler!
L’enjeu monopolise l’attention, car il écorche la réputation du gouvernement et celle du pays. Alors oui pour l’attention. Mais l’embauche de travailleurs, leur préparation, leur formation et leur évolution jusqu’à un fonctionnement efficace, c’est long!
Je persiste à croire qu’il faut revoir scrupuleusement la sécurité. Qu’est-ce qu’on fait au Canada, comparativement aux autres pays? Où se situe l’efficacité? En quoi le secteur privé pourrait-il aider davantage? Je pense que le système est inefficace à la base. Avec la pandémie et l’engouement retrouvé pour les voyages, il est presque impossible de fonctionner.
PETER HAYNES : Comment se fait-il que le Canada soit moins efficace que les États-Unis en cette ère d’après-11 septembre? En quoi la sécurité a-t-elle changé? Difficile d’imaginer que les voyageurs l’ont moins facile ici qu’aux États-Unis... Mais tu l’expliques bien, c’est clair.
Parlant d’Ottawa, Frank, j’ai eu vent d’une anecdote récemment au sujet d’une partie de golf que tu as joué avec l’ex-premier ministre Jean Chrétien – il était question d’un roulé de trois pieds au dernier trou... Je sais qu’on a mis la puce à l’oreille de bien des auditeurs avec le titre du balado : « Le roulé de trois pieds » Veux-tu raconter de quoi il retourne?
FRANK MCKENNA : Tout ça s’est passé lors de ma retraite du service public. Comme tu le sais, je m’étais engagé à rester 10 ans et je suis parti exactement après 10 ans. Juste avant, par souci de courtoise, je suis allé à Ottawa pour annoncer au premier ministre ma démission et la date de mon départ – c’est d’usage. Il m’a invité à jouer au golf avec lui.
On est donc allés au club de golf et j’ai joué avec lui. Il est assez bon golfeur, assez axé sur la compétition. Bref, on avançait dans le jeu et il m’a dit : Frank, tu quittes le monde politique, mais tu as bien des années devant toi. Qu’est-ce que tu envisages? Aimerais-tu siéger au Sénat?
Je l’ai assuré que non – je visais un poste exigeant, je n’allais quand même pas m’asseoir au Sénat! Il m’a demandé si je convoitais une autre nomination.
Mais non, je ne voulais rien de particulier.
Il m’a demandé ce que je voulais.
J’ai répondu : « Comme vous le savez, j’ai très à coeur de terminer l’autoroute à quatre voies à travers le Nouveau-Brunswick; elle sauve des vies et rend le transport plus abordable pour tout le monde. On en a déjà fait les trois quarts; il me faudrait 350 M$ pour tout finir. »
Il a dit : « Ouais, c’est beaucoup d’argent... Et on n’a pas beaucoup d’argent. »
Mais j’avais précisé ce que je voulais. Il m’avait demandé ce que je voulais, et c’était ça.
Il a fini par répondre qu’on verrait...
On est finalement arrivés au dernier trou, à égalité. J’avais un roulé de trois pieds à faire pour un birdie si je voulais gagner, et j’ai aligné mon coup. Le PM m’a averti : « Frank, t’as besoin de 350 M$, non? » J’ai dit oui!
« Alors, tâche de rater ton coup. »
Je me suis senti un peu intimidé. Mais je lui ai lancé « advienne que pourra! » avant de m’exécuter. Je ne suis pas très bon, mais j’ai mis la balle dans le trou. Il s’est exclamé « Bon, OK, je vais te donner les 350 M$ quand même! »
Voilà l’histoire du roulé de trois pieds qui m’a valu 350 $M, soit bien plus que ce que gagnent les pros. Avec le temps, on a obtenu les fonds et fini l’autoroute. Le plus drôle, c’est qu’il m’a rappelé quelques heures après. J’étais en route vers l’aéroport. Il a interrompu sa réunion de cabinet pour m’appeler.
« Frank? »
« Oui? »
« J’ai pris le temps de réviser le pointage... et je réalise qu’on a fait une partie nulle. »
[RIRES]
J’ai répondu « OK, si vous le dites, tant que je touche l’argent! » « Oui, tu auras quand même ton argent. » Ça montre à quel point il aime la victoire. Il était là, au cabinet, en train d’examiner le pointage de la partie.
PETER HAYNES : Son souvenir semble se bonifier au fil du temps. C’est une belle anecdote qui vient humaniser la fonction. On a malheureusement peu accès à ces chroniques humaines. On entend toujours parler des leaders d’un point de vue public. C’est une belle histoire. Merci de l’avoir racontée aux auditeurs.
Je veux maintenant aborder un sujet un peu moins plaisant – un enjeu géopolitique mis en lumière il y a quelques semaines... Le tout se déroule au Sri Lanka. Les images montrent des citoyens manifestant devant le palais présidentiel, qu’ils ont pris d’assaut par la suite, forçant la fuite du président et la mise en place d’un autre leadership.
L’agitation civile au Sri Lanka résulte d’une confluence de facteurs, dont les excès de dépenses publiques dans la lutte sans fin contre les Tamouls, qui a entraîné de récentes défaillances, et la rigueur extrême du confinement durant la pandémie, sans compter le coup de grâce lié au soulèvement : l’inflation grimpante touchant le prix de l’essence et des aliments. Quelles leçons sont à tirer de la situation sri lankaise, qui va sûrement amener beaucoup d’investisseurs et de gouvernements à perdre de l’argent? Quelles économies émergentes dans le même bateau sont à surveiller en vue d’éventuels renversements politiques?
FRANK MCKENNA : Je trouve tout cela révélateur du monde dans lequel on vit. D’abord, la gestion du Sri Lanka est depuis longtemps une affaire de famille... Le ressentiment envers la famille dirigeante s’est accentué au fil du temps, mettant ainsi la table pour une révolte. Le pays a d’ailleurs très mal géré la COVID. Il n’avait probablement pas accès aux vaccins, comme la plupart des nations du tiers-monde. Cette mauvaise gestion a vraiment perturbé l’économie.
Ajoutez dans la foulée une inflation galopante et la hausse vertigineuse du prix des carburants. Le prix du gaz de cuisine a flambé, et même les gens prêts à payer le carburant avaient du mal à en trouver. Le peuple semble avoir cédé au désespoir. Le gouvernement a aggravé le problème en restreignant l’importation. Il est devenu impossible d’accéder à d’autres produits de base dont le pays avait cruellement besoin.
Mais je suis frappé par l’aspect pacifique de la révolte. Les gens sont arrivés et ont pris d’assaut le palais, sans armes. Tout s’est passé dans la bienséance. En fait, on a juste forcé les gens à se mettre en file pour entrer afin de limiter la casse. Seule chose qu’on pourrait – à la rigueur – qualifier d’affront, c’est qu’après avoir subi une chaleur écrasante dans le palais, certains se sont jetés à l’eau et ont profité de la piscine présidentielle.
Bref, ce fut un renversement sans violence du gouvernement. Cela dit, tu as mis le doigt dessus, Peter. Les conditions qui ont mené à ce renversement au Sri Lanka se reproduisent dans un nombre grandissant d’autres pays.
L’attaque russe envers l’Ukraine et ses répercussions mondiales sur les prix des aliments et de l’énergie nuisent au Canada et à l’Amérique du Nord – c’est plus qu’une nuisance, c’est douloureux. Mais pour dans certains pays étrangers, c’est une question de vie ou de mort. Beaucoup de pays africains en font les frais. Beaucoup de pays latino- américains en souffrent.
Leurs habitants désespèrent quand les besoins de base sont en péril – qu’on parle de carburant pour les transports, de gaz pour cuisiner ou d’aliments. Ils se révoltent comme ils le peuvent – bien souvent contre leur gouvernement. Ils ne vont pas s’en prendre à la Russie, à l’Ukraine ou aux Nations-Unies... ils réagissent sur place.
On verra sans doute plus de scènes du genre dans le monde.
PETER HAYNES : Y a-t-il certains pays, à l’instar du Sri Lanka – qui est loin d’être petit... je veux dire, 22 millions d’habitants, c’est beaucoup... Vois-tu des pays qui requièrent une surveillance particulière? Ou faut-il exercer une vigilance générale à l’égard des économies émergentes et des placements du point de vue géographique?
FRANK MCKENNA : La prudence est de mise en général, mais certains pays nécessitent plus d’attention. Je pense au Brésil. Son économie est imposante, mais le leadership est hasardeux actuellement. Des élections se préparent, et tout peut arriver! D’autres pays sont à guetter sur le continent. Je pense surtout au Honduras, au Guatemala et à d’autres pays qui me semblent assez vulnérables en ce moment.
PETER HAYNES : Tu as mentionné l’Ukraine... Évidemment, la guerre a eu un vaste impact, ne serait-ce que le prix du carburant et les problèmes alimentaires au Sri Lanka. Vois-tu d’un bon oeil l’entente de ce week-end entre les deux pays en guerre pour permettre aux navires de passer librement sur la mer Noire?
FRANK MCKENNA : Je pense que c’était un impératif, sans aucun élan d’affection de part et d’autre. Je rappelle que 30 % du blé sur la planète provient de l’Ukraine et de la Russie. Le conflit a créé un énorme déséquilibre dans le monde. Fait intéressant, au Canada : beaucoup d’agriculteurs – surtout dans l’Ouest – délaissent les cultures de canola, de soya et autres pour cultiver le blé vu l’extraordinaire demande en blé actuellement.
La Russie, quels que soient ses comportements vindicatifs, a encore des amis sur cette planète... Elle a vraiment beaucoup d’amis – pas le genre d’amis qu’on aurait, toi et moi – en Afrique et en Amérique latine, où elle pratique l’échange d’armes et d’autres choses pour s’attirer des faveurs, quoique ces nations souffrent également. Ses grands alliés, du moins ceux qui ne font pas opposition, sont l’Inde et la Chine, des peuples qui ont faim. Ils ont besoin de blé, comme les autres pays. Je pense que beaucoup de pays dans le monde dépendent fortement de la Russie et doivent faire maintenir le commerce.
PETER HAYNES : Même si on ne s’attend pas à une résolution de paix sous peu, l’idée est bien accueillie de laisser les navires circuler dans le port d’Odessa.
Parlant d’amis, je pense que Boris Johnson s’en cherche... Il ne semble pas en avoir beaucoup au Royaume-Uni depuis sa démission forcée, il y a quelques semaines. On attend donc le résultat de la course au leadership des conservateurs, qui se limitera à deux candidats en septembre – saura à qui la chance de « mener le parti vers la défaite aux prochaines élections ». Je crois qu’ils le formulent comme ça au Royaume-Uni.
Concernant le mandat de Boris Johnson comme leader, et ce qui est advenu, quelles sont tes impressions?
FRANK MCKENNA : Je suis en désaccord avec toi sur une chose... Rien ne conjure les conservateurs à perdre les élections. Le parti travailliste a ses propres démons. Bien sûr, aujourd’hui, ils sont en forme! Bien sûr, les sondages les montrent en bonne posture, mais ils ont leurs problèmes. Selon moi, ce n’est pas joué d’avance.
J’ai trouvé Johnson peu doué. Il n’était qu’une caricature à grands traits. Il a menti. Pour cultiver le flou, il a menti au sujet du Brexit. Il s’opposait au Brexit à un certain moment, quand il était journaliste. Puis il est devenu opportuniste après son saut en politique, soutenant le Brexit. Il disait aux Britanniques qu’ils allaient gagner au change, que tout le monde gagnerait au change. Et qu’il y aurait plus d’argent injecté dans la santé et tout le reste. Ce n’était que mensonge, et je pense que le Royaume-Uni a fini par s’ouvrir les yeux.
Les ports de Douvres sont engorgés. Il est impossible d’y circuler. Le pays manque d’énergie. L’inflation y culmine. Il est impossible d’accéder aux marchés mondiaux ou européens. Le Brexit n’a pas bien servi la population, et ce qui se passe en Écosse et en Irlande du Nord n’arrange pas les choses. Les problèmes s’accumulent à cause du Brexit, mais le gouvernement n’est pas disposé à admettre que le Brexit est à l’origine de ces problèmes. Johnson, en fin de compte, s’est tiré dans le pied. Ses menaces et ses délires l’ont finalement rattrapé.
Je pense que les Britanniques voulaient voir un adulte responsable sur Whitehall, mais ce n’était pas le cas. Certains y voient l’abandon d’un rat en plein naufrage et je pense que c’est une bonne image. Il avait commis tant d’erreurs sur le plan personnel – des erreurs de jugement. Il faisait la fête quand tout le monde observait les mesures de confinement. Il transgressait les règles...
Et en dépit de tout ça, c’était un vrai populiste, à l’image d’un politicien irlandais qui tombe sur la police – tu sais, ce type qui court dans la rue et tombe nez à nez avec un policier? Il s’exclame : « Où sont passés mes acolytes? Je dois les retrouver, je suis leur leader! » Voilà Johnson. Il me faisait penser à ça. Il ne dirigeait pas le peuple britannique, mais tentait de le suivre et de se soumettre à ses volontés, coûte que coûte.
Je me réjouis de son départ. Je pense qu’on laissera place à un adulte. Les deux candidats sont assez différents. Reste à voir les décisions à venir. Quoi qu’il en soit, elles seront beaucoup plus pragmatiques. On peut s’attendre à un gouvernement beaucoup plus responsable.
PETER HAYNES : C’est intéressant. Tu le qualifies de leader populiste. Je me demande... J’aimerais connaître ton point de vue ici... Le populisme est-il en perte de popularité? Je songe au contexte politique américain et aux audiences sur le 6 janvier, qui donnent lieu à des tirades théâtrales – ça fait beaucoup d’information à assimiler d’un coup pour le grand public. Ces audiences ont, semble-t-il, amené deux des fermes partisans de Trump – le New York Post et le Wall Street Journal – à se résigner ce week-end en disant c’est assez, non à Trump en 2024!
Dirais-tu que c’est potentiellement un autre signe? À savoir que le bref élan de populisme observé dans certains pays et certaines régions géographiques est peut-être en train de s’essouffler?
FRANK MCKENNA : J’aimerais bien dire oui, mais presque en ce moment même, le gouvernement très respectable de Mario Draghi en Italie nage en plein chaos à cause du morcellement de la coalition. J’aimerais vraiment dire que c’est le cas, mais aux États-Unis, Trump a encore beaucoup d’influence sur le parti républicain.
Compte tenu des audiences, que j’ai trouvées sidérantes, on pourrait penser que les démocrates sont en meilleure posture pour tenir Trump à l’écart du monde politique. Or, les républicains ont presque tout balayé de la main, faisant fi de leur existence. Je pense que Trump exerce encore du pouvoir dans cette arène.
La question brûlante, à savoir s’il y aura des accusations... à mon sens, le procureur général Merrick Garland a bien assez en main pour soumettre le dossier au département de la justice. Il y en a assez pour porter des accusations. Je me dis qu’à la lumière des faits, les preuves suffisent à justifier l’accusation. Mais j’ai des réserves sur la quantité de preuves pour une condamnation. La question est d’intérêt pour tout procureur... Disons qu’un crime a été commis et qu’il y a des preuves pour une accusation, doit-on aller de l’avant, dans la mesure où les chances d’une condamnation sont plutôt minces?
Voilà le dilemme. La raison pour laquelle il serait difficile d’obtenir une condamnation, c’est... Rappelons les bases qui fondent un jugement au criminel : douze jurés doivent s’entendre, sans l’ombre d’un doute raisonnable. J’ai évolué dans ce monde longtemps. En fait, j’ai gagné en causes de meurtre en ligne en soulevant un doute raisonnable – il faut convaincre les 12 jurés, au-delà du doute raisonnable, qu’un crime a été commis. Et on sait à quel point le climat est polarisé aux États-Unis. Difficile d’imaginer 12 jurés n’ayant qu’un point de vue modéré sur la question – c’est assez improbable.
Selon moi, les chances de condamnation sont plus élevées en Géorgie. Le crime semble mieux défini, voire plus flagrant. Le procureur général est zélé dans sa poursuite contre Trump en Géorgie. Il est possible que Trump doive répondre d’une accusation là-bas s’il n’est pas accusé à Washington.
PETER HAYNES : Les frais juridiques de cet homme sont sûrement astronomiques. Je sais que lorsqu’il est insatisfait, il ne paie pas. Il s’agit d’un dossier intéressant à suivre. On verra...
Avant de conclure, Frank, je veux qu’on parle d’inflation. C’est un problème qu’on a évoqué déjà en parlant du Sri Lanka et des problèmes résultant de la guerre. J’aimerais savoir si tu as sursauté quand la Banque du Canada a relevé son taux directeur de 100 points de base la semaine dernière. As-tu bon espoir que la banque contrôlera l’inflation par sa seule politique monétaire?
FRANK MCKENNA : Ce fut une surprise. À l’instar du marché, je dirais que j’ai été surpris. Vivement que la banque centrale le fasse, car ça va au-delà de 100 points de base. Comme tu le sais, Peter, cette intervention s’inscrit nettement dans un effort de gérer des choses comme l’inflation. J’ai vu ça comme un geste retentissant, à vrai dire.
Je ne sais pas si les banques centrales pourront réussir un atterrissage en douceur. Selon moi, elles peuvent venir à bout de l’inflation, mais vont-elles y arriver sans déclencher une récession? Là est la question. Il faudrait que le gouvernement évite de jeter de l’huile sur le feu. Il ne reste plus tant de cartes à jouer. On peut dire que tous les outils ont été mis à profit.
PETER HAYNES : Évidemment, Frank, on ne peut conclure sans parler des Jays. Ils sont à 8 et 1 depuis que Schneider est là. On est à la fois soulagés et heureux de constater le changement de gérance, mais tout compte fait, le milieu du baseball est à l’affût d’une chose actuellement : qui remportera les faveurs de Juan Soto?
Certains voient Juan Soto comme un amalgame de Ted Williams et Hank Aaron. C’est audacieux comme comparaison pour un gars de 23 ans, mais il le mérite. Les Nationals de Washington ont annoncé qu’ils vont l’échanger. Ils exigent toutefois une somme faramineuse pour Soto. Voici ma question... Mets-toi dans la peau d’un directeur général un instant. Irais-tu jusqu’à échanger Gabriel Moreno, Orelvis Martinez, et Ricky Tiedemann, les trois plus grands prospects des Jays, plus Lourdes Gurriel, pour trois éliminatoires avec Juan Soto?
FRANK MCKENNA : Je ne ferais pas ce compromis. Je rappelle qu’il ne reste que deux ans et demi à son contrat et qu’il est représenté par Scott Boras. Autrement dit, il sera déjà à l’affût d’une autre entente dans deux ans et demi. Il ne va pas signer à nouveau avec les Jays, ou tout autre acquéreur. Je précise qu’il a devant lui un contrat de 15 ans d’environ 440 millions de Washington. Il s’agit donc d’un joueur très difficile à contrôler. De un... Bien sûr, c’est du provisoire – c’est un emprunt de quelques années, mais un emprunt tout de même. Où est le compromis?
Il y a d’abord l’abandon de Moreno, le numéro un des prospects pour l’organisation des Jays. Un receveur, à mon sens, n’a rien d’un simple joueur de baseball. C’est comme un quart-arrière au football. Il a des compétences variées, il est vraiment maître du jeu de façon multidimensionnelle. Concernant Moreno, c’est un frappeur! Il va se démarquer comme frappeur de .300, c’est clair. Il court vite, plus vite que la majorité des Blue Jays. Il possède une arme de pointe, il se joue des lanceurs. Il a tous les atouts d’un receveur. Je pense qu’il est en voie de devenir une star dans les ligues majeures de baseball pour quelque 20 ans.
Il a 22 ans. Pour ce qui est de Martinez, il a 20 ans. Certains diront de s’en départir, on a déjà des joueurs de petit champ, quoiqu’il pourrait jouer au troisième si Chapman doit être remplacé. D’ailleurs, il compte 22 coups de circuit, tandis que Soto, malgré sa fiche impressionnante, ne compte que 20 coups de circuit pour l’heure. Martinez a une longueur d’avance ici.
Pensons aussi à Ricky Tiedemann, qui représente probablement les lanceurs partants de l’avenir. Il a une balle rapide, qui file à 96 voire parfois à 98 milles à l’heure. Ce lanceur gaucher fait six pieds quatre. Il est peut-être le prochain Alek Manoah, mais du côté gauche. Tu écartes beaucoup de choses...
Et pour ce qui est de Gurriel, je ne sais pas si on en parle assez... Sa moyenne est au-delà de .300, meilleure que celle de Soto. Il frappe la balle jusqu’au firmament. Son bras est comme une arbalète et lui a valu maintes mentions d’assistance. Bref, échangerais-je Gurriel contre Soto? Sans hésiter, et j’ajouterais quelques extras. Mais ce que tu proposes d’éliminer ici est beaucoup trop précieux...
Oui, l’offensive est gagnante avec Soto – c’est un frappeur gaucher, ce qui ne peut pas nuire. Mais on a une belle formation offensive. Si chacun exploite pleinement son potentiel, on aura là la meilleure offensive du monde du baseball. Ce qu’il faudrait, pour garantir l’accès aux éliminatoires, c’est un lanceur partant, et sans doute des releveurs de centre, un meilleur soutien. Si tu intègres Soto sans étayer tes lanceurs, je pense que tu n’iras pas loin.
Pour ces raisons, je rejetterais l’entente. De plus, j’aime les changements jusqu’ici. Juste ce week-end, hormis l’hystérie entourant les 20 points et le reste, un moment m’a vraiment allumé. Chapman était au premier but et Espanola a fait un court-et-frappe avec lui. Il avait tant d’avance qu’il a marqué direct depuis le premier but sur un simple. C’est une prouesse assez spectaculaire. C’est un peu comme ça qu’on aime le baseball – avec des joueurs combatifs qui repoussent les limites. Je trouve que les Blue Jays vont dans ce sens actuellement.
PETER HAYNES : L’action en arrière fond, c’est ce que le commissionnaire Manfred doit rétablir dans le jeu. J’aime ça aussi, je me range avec toi là-dessus. À la défense de Juan Soto, il ne voit aucune balle rapide à Washington parce qu’il n’a pas de protection dans la formation là-bas. Le directeur général, Mike Rizzo, cible dans la plupart des cas, selon moi, les quatre meilleurs espoirs de chaque organisation. C’est un bon départ. Je t’ai donné notre top trois. Et Gurriel est un de nos meilleurs joueurs. Tu rejettes cet échange – il sera intéressant de voir si les bonzes des Blue Jays rejettent aussi la proposition.
FRANK MCKENNA : Ferais-tu l’échange, Peter?
PETER HAYNES : Je pense que les Yankees vont le faire, personnellement. Je vais donc me soustraire à la question, car je suis un peu plus ambivalent que toi. Je pense que les Yankees vont le faire, question d’avoir plus de poigne pour reconduire le contrat d’Aaron Judge.
D’ailleurs, si tu cherches une victoire imminente, c’est le nom à retenir, Frank... dans la division Est de la Ligue américaine, à Tampa Bay. Tu n’as qu’à lui donner son dû d’arbitrage et à le laisser partir dans trois ans. Ou tu l’échanges après deux ans, mais tu l’as pour tes éliminatoires – l’équipe est si bonne chaque année. J’adore l’imaginer à Tampa Bay. On y trouve les meilleurs clubs écoles du baseball, et personne ne s’inquiète de laisser partir quatre prospects contre un joueur qui va s’imposer au centre de la formation durant trois ans. Soyons francs... C’est un choix très intéressant.
FRANK MCKENNA : Je pense que St. Louis va tenter le coup. Je pense qu’il est même possible de l’intégrer. On y trouve aussi de très bons clubs écoles. Il faut vraiment avoir de solides clubs écoles pour réussir ça de même que les lanceurs irréprochables pour s’éviter des soucis en ce sens.
Je te rappelle une autre chose, à laquelle tu as fait allusion : si tu signes avec Soto et que tu te mets à lui verser le salaire qu’il exige pour continuer, tu ne seras plus en mesure de gérer Guerrera, Bichette et d’autres gros noms dans ton équipe. Je trouve qu’il s’agit de...-- tu sais, de « bébés Jays ». Ils se sont hissés dans le système. Je crois qu’ils ont un bel avenir chez les Jays. Je ne voudrais pas compromettre l’éclat prometteur des stars actuelles en misant sur un autre grand nom.
PETER HAYNES : Je suis d’accord. Les équipes savent qui s’est joint à elles. Elles se rappellent qui les a choisies. Il ne faut pas se mettre en travers des « bébés Jays ». D’accord. Ils ont le vent dans les voiles pour l’heure. J’avoue qu’on a un léger préjugé de récence, mais c’est à suivre...
Je ne veux pas que les Yankees le recrutent. Je ne veux pas voir ce frappeur au centre de cette formation. Laissons-le aller chez les Cardinals, puis... Au fait, qu’en penses-tu? Leurs deux meilleurs joueurs ne peuvent jouer cette semaine, faute d’être vaccinés – Goldschmidt et Aaron Otto. C’est incroyable.
FRANK MCKENNA : J’ai du mal à le croire. Je sais qu’il s’en trouve aux États-Unis pour critiquer la position du Canada – c’est sans se rendre compte que Djokovic ne peut pas jouer aux États-Unis. Il ne peut participer au US Open parce qu’il n’est pas vacciné. Les Américains ont aussi leurs règlements. En fait, ils ne laissent aucun résident non national revenir au pays sans vaccination préalable. Le Canada n’est pas seul à appliquer ce genre de règlement.
PETER HAYNES : Exact. Et les Blue Jays... La seule chose qui leur permet tous de jouer aux États-Unis, c’est que chaque joueur est vacciné. C’est exactement la même règle, elle est juste mal expliquée. L’équipe de Kansas City voulait venir ici avec 10 joueurs non vaccinés. Ils ont été refusés. C’est ahurissant. Le pire, c’est la sortie de Whit Merrifield disant que s’il était en lice pour une place en séries, il se ferait vacciner. Disons qu’il ne s’est pas fait d’amis.
FRANK MCKENNA : [RIRES]
PETER HAYNES : Quoi qu’il en soit, on pourrait jaser de baseball à en perdre haleine, mais on reste à l’affût des développements du mois prochain. À la fin d’août, les dés seront joués. On saura quelles ententes les Jays ont conclues. On reste aux aguets au tournant d’août, car dans le contexte actuel, je trouve les Yankees vulnérables. Vu toutes les blessures... Un autre releveur s’est justement blessé ce week-end... Ils sont affaiblis. J’aime les Jays. Reste à voir si dans un mois on les aimera encore.
Merci, Frank, une fois de plus. Je te souhaite une belle fin d’été sur la côte est. On se reparle bientôt!
FRANK MCKENNA : Merci, Peter.
[MUSIQUE]
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Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter s’est joint à Valeurs Mobilières TD en juin 1995 et dirige actuellement notre équipe Recherche, Structure des marchés et indices. Il gère également certaines relations clés avec les clients institutionnels dans la salle des marchés et anime deux séries de balados, l’une sur la structure des marchés et l’autre sur la géopolitique. Il a commencé sa carrière à la Bourse de Toronto au sein du service de marketing des indices et des produits dérivés avant de rejoindre Le Crédit Lyonnais (LCL) à Montréal. Membre des comités consultatifs sur les indices américains, canadiens et mondiaux de S&P, il a siégé pendant quatre ans au comité consultatif sur la structure du marché de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
À titre de président suppléant, Frank a pour mandat de soutenir l’expansion continue de Valeurs Mobilières TD à l’échelle mondiale. Il est membre de la direction du Groupe Banque TD depuis 2006 et a déjà été premier ministre du Nouveau-Brunswick et ambassadeur du Canada aux États-Unis.