Analyse de la bataille diplomatique entre le Canada et l’Inde
Le balado est disponible en anglais seulement.
Invitee: Frank McKenna, Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Animateur: Peter Haynes, Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna, un fier Canadien, montre sa véritable passion pour le Canada au cours de l’épisode 44 en défendant d’abord le Canada dans son conflit diplomatique avec l’Inde au sujet du meurtre de Hardeep Singh Nijjar, un membre canadien de la diaspora sikh établi à Surrey, en Colombie-Britannique. Frank s’oppose ensuite au plan que caresse l’Alberta de se retirer du Régime de pensions du Canada, et se fait le champion du partenariat entre le gouvernement fédéral et les communautés autochtones pour le pipeline Trans Mountain, qui sera bientôt terminé. Frank estime suffisantes les mesures prises par le Canada dans la foulée du malheureux incident survenu lors de la visite parlementaire du président ukrainien Zelensky à Ottawa, et qui a été politisé au Canada comme en Russie. Il aborde également les répercussions d’une éventuelle fermeture du gouvernement américain. L’épisode se termine sur une demande – probablement rhétorique – de Frank, qui espère des sujets plus réjouissants le mois prochain. L’avenir nous le dira!
Ce balado a été enregistré le 27 septembre 2023.
[MUSIQUE]
FRANK MCKENNA : Je pense qu’on peut dire que c’est un événement extraordinairement troublant. Pourquoi M. Trudeau a-t-il dit ça alors qu’il était clair qu’ils n’étaient pas encore prêts à procéder à une arrestation?
PETER HAYNES : Bienvenue à l’épisode 44 de Geopolitics en compagnie de l’honorable Frank McKenna. Je m’appelle Peter Haynes et j’ai le plaisir d’animer cette série de balados mensuels de Valeurs Mobilières TD. Les gens me demandent comment Frank et moi préparons ces balados et combien de fois on doit se retrouver pour travailler sur chaque épisode. Honnêtement, on ne me croit pas quand je réponds que j’envoie les questions à Frank la veille de l’enregistrement. Il y répond point par point le lendemain, sans poser de questions ni en discuter. Frank, je suis vraiment honoré d’être assis ici et d’avoir l’occasion de te mettre impitoyablement sur le gril chaque mois.
FRANK MCKENNA : Eh bien, Peter, je suis honoré d’avoir l’occasion d’être mis impitoyablement sur le gril chaque mois.
PETER HAYNES : J’ai beaucoup de choses pour toi ce mois-ci, avec quelques surprises à la clef. Je me souviens que tu m’as déjà proposé d’essayer de ne pas t’envoyer les questions à l’avance, mais je ne suis pas à l’aise avec ça. Mais je vais essayer de te surprendre un peu tout à l’heure pour voir comment tu t’en sors. On reviendra là-dessus un peu plus tard.
Sur ce, permets-moi de commencer en citant un mot qu’a eu Jamie Dimon, hier. « La géopolitique est le plus grand danger pour l’économie mondiale. La guerre a polarisé le monde, et l’Ukraine est devenue l’épicentre du danger géopolitique. » C’est vrai qu’on a beaucoup de choses à dire à ce sujet aujourd’hui, et je le rejoins dans son analyse de ce qui fait bouger les marchés et le monde, actuellement.
Avant d’aborder ça, Frank, je me souviens que tu m’as envoyé il y a quelque temps un courriel intitulé « Mon nouveau meilleur ami ». Tu y avais joint une photo. En cliquant dessus, je t’ai vu assis à côté de Pascal Siakam des Raptors de Toronto, le sourire aux lèvres. Est-ce que tu peux expliquer à nos auditeurs pourquoi Pascal est ton nouveau meilleur ami?
FRANK MCKENNA : Oui. Eh bien, c’est probablement un peu exagéré de l’appeler comme ça, mais je participe à un projet qui vise à favoriser la littératie numérique dans le Nouveau-Brunswick, ma province d’origine, et plus généralement partout dans le monde. J’y ai mis un peu de mon argent personnel, j’ai levé plus de 50 millions de dollars, et ça attire pas mal l’attention.
Pascal Siakam a lui aussi découvert ce qu’on faisait. Il veut faire exactement la même chose au Cameroun, son pays d’origine, que ce qu’on tente de réaliser au Nouveau-Brunswick. Autrement dit, il veut lui aussi favoriser la littératie numérique, la robotique et les sciences informatiques et stimuler l’innovation dans l’économie en utilisant des outils modernes pour communiquer et pour améliorer l’efficacité de l’économie.
On a parlé, et il m’a proposé de dîner ensemble, ce qu’on a fait. Il a donc donné 100 000 $ pour améliorer la littératie numérique au Cameroun. L’un de nos bienfaiteurs, qui collabore étroitement avec notre institut, a mis 100 000 $ de plus. Aujourd’hui, on dispose de 200 000 $ au total pour favoriser la littératie numérique au Cameroun. On a aussi une offre de plusieurs millions de dollars qui pourraient être utilisés pour la littératie numérique au Cameroun, mais aussi dans d’autres pays du monde qui ont des besoins assez urgents.
PETER HAYNES : C’est une belle histoire. Et c’est formidable que vous ayez été en contact. Et j’avoue que, égoïstement, quand j’ai appris que tu étais en partenariat avec Pascal, je n’ai pensé qu’à une chose : ça voulait dire qu’il n’était pas échangé contre Damian Lillard, dont la presse parle en ce moment. J’espère qu’il va rester.
FRANK MCKENNA : Je n’ai pas d’information privilégiée à ce sujet, je peux juste dire que c’est un être humain extraordinaire. C’est déjà super d’être un joueur de basketball, mais Pascal est aussi quelqu’un qui se donne corps et âme aux personnes les plus pauvres de son pays. Les leçons que lui ont données ses parents ne sont pas tombées dans l’oreille d’un sourd, et je lui tire mon chapeau.
PETER HAYNES : C’est toujours agréable de voir le côté humain de ces professionnels qu’on acclame tout le temps. Et d’ici quelques semaines, Pascal Siakam jouera ici pour les Raptors sous nos applaudissements. Pascal Siakam est un fier membre de la communauté africaine du Cameroun. Et toi et moi sommes de fiers Canadiens. Mais, en tant que Canadiens, nous sommes aussi anxieux. C’est particulièrement le cas en ce qui concerne l’image que le monde a de notre pays.
Et sur ce point, je ne pense pas que le mois ait été très bon pour le Canada. Je te propose donc de parler de certains des problèmes qui ont attiré sur le Canada une attention dont notre pays se serait bien passé, je crois. N’hésite pas à me corriger si je me trompe dans ma description des faits.
Avec l’aide de ses partenaires en matière de sécurité du Groupe des cinq, le Canada découvre des preuves suggérant que le gouvernement indien pourrait avoir été impliqué dans le meurtre de Hardeep Singh Nijjar, citoyen canadien et membre important de la communauté sikhe de Surrey, en Colombie-Britannique. Nijjar avait exprimé haut et fort son soutien à la création du Khalistan, un État indépendant pour les Sikhs en Inde. Le Canada soulève la question en privé auprès du gouvernement indien avant et pendant le sommet du G20, qui a justement eu lieu en Inde cette année.
À son retour du sommet, Justin Trudeau, premier ministre du Canada, rend publiques ces allégations dans un discours au Parlement du Canada. L’Inde les réfute et les deux pays entament alors une politique d’un prêté pour un rendu : expulsions de diplomates, interruptions de demandes de visa, échanges de piques et annulations d’accords commerciaux. Frank, comment se fait-il que les choses aient dégénéré si rapidement, et pourquoi le premier ministre Justin Trudeau a-t-il rendu la chose publique avant de pouvoir fournir des preuves concrètes?
FRANK MCKENNA : Eh bien, Peter, il va y avoir énormément de choses à dire, mais comme c’est important, on va prendre un peu de temps pour ça. Il faut souligner que le Canada a fait le maximum pour respecter un autre grand pays du monde à l’égard de cette information. Nos services de renseignement ont soulevé la question auprès des services de renseignement de l’Inde. Le sujet a été abordé au niveau diplomatique bien avant le sommet du G20. Et par courtoisie, notre premier ministre en a parlé au premier ministre Modi lors du sommet du G20, bien avant que les allégations ne deviennent publiques.
C’est vrai que le résultat n’a pas été flatteur pour le Canada, mais parfois, c’est le prix qu’on doit payer quand on agit en boy-scout. M. Modi a rabaissé publiquement M. Trudeau en prétendant que nous hébergions sur notre territoire des gens qu’il considère comme des terroristes, et ce, sans se référer spécifiquement à l’assassinat. On en a déjà parlé plusieurs fois et dans d’autres balados et je n’ai donc pas besoin de le rappeler : celui que certains considèrent comme un terroriste est vu par d’autres comme un champion de la liberté. On reviendra sur ça plus tard aujourd’hui.
Quoi qu’il en soit, M. Modi a rabaissé publiquement M. Trudeau. M. Trudeau est revenu au Canada et a tenu une session parlementaire au cours de laquelle il a révélé publiquement que le gouvernement de l’Inde était soupçonné d’avoir été impliqué dans le meurtre de Nijjar, ce qui équivaut à un assassinat à l’étranger. Je pense qu’on peut dire que c’est un événement extraordinairement troublant.
Pourquoi M. Trudeau a-t-il dit ça alors qu’il était clair qu’ils n’étaient pas encore prêts à procéder à une arrestation? Pour le comprendre, il faut regarder la chose du point de vue politique : le journal The Globe and Mail était au courant de l’histoire et était sur le point de la révéler. Steve Mason et Robert Fife, qui travaillent pour ce journal, ont ce que j’appellerais un traître et ce qu’eux appelleraient une source au sein du Service canadien du renseignement de sécurité. C’est de cette personne qu’ils tiennent leurs informations. Manifestement, ils étaient au courant de l’affaire et étaient sur le point de la rendre publique.
Et si ça s’était produit, M. Trudeau aurait été mis face à un dilemme cornélien, et il aurait dû nier ou confirmer l’histoire, et je comprends sa réaction. S’il avait nié l’histoire, il aurait menti éhontément. Mais s’il n’avait rien fait, il aurait fait preuve d’impuissance.
Et ça fait parfaitement écho à ce qui s’est passé ces derniers mois : le gouvernement chinois a été accusé d’intervenir dans la politique canadienne. Parce qu’il n’a rien dit à ce sujet, M. Trudeau a été rabroué et fait maintenant l’objet d’une enquête publique sur l’ampleur de l’ingérence étrangère dans les élections canadiennes. Je pense qu’on risque de découvrir que l’ingérence indienne est plus forte encore que celle de la Chine, voire que celle d’autres pays.
M. Trudeau se retrouve donc dans une situation sans issue. Soit il rend lui-même la chose publique, soit quelqu’un d’autre s’en charge, ce qui amène les gens à lui reprocher de ne pas avoir été franc avec les Canadiens et de leur avoir caché des choses. Et maintenant, bien sûr, comme le Canada est un État de droit où la justice évolue à son propre rythme, il est difficile de savoir si et quand des mises en accusation seront réellement faites. Je ne vais pas entrer dans les détails, mais ce que je sais, c’est qu’une quantité énorme de preuves ont été recueillies et que des assignations à comparaître, des mandats d’arrêt, etc., ont été émis.
J’ai résumé l’essentiel de l’histoire, mais il y a un autre point dont il vaut la peine de parler parce qu’il met en évidence le monde plutôt troublant dans lequel nous vivons : il s’agit de la réaction de nos alliés. Je crois que tous nos principaux alliés ont été informés directement par le premier ministre des allégations concernant un assassinat extraterritorial. Leur réponse a été timide. Certains pays ont exprimé leur désapprobation, mais sans rien changer dans leurs relations avec l’Inde. Et comme on pouvait s’y attendre, ils espèrent que toute cette affaire va se tasser.
Et ça reflète le monde dans lequel on vit, aujourd’hui. On peut bien sûr citer l’exemple de Khashoggi, un ennemi de l’Arabie saoudite qui s’est fait couper en morceaux à l’ambassade de l’Arabie saoudite, en Turquie. Le reste du monde a fortement manifesté sa désapprobation par rapport à ça, mais seulement quelques années plus tard, le prince héritier, qui avait été directement impliqué dans la mort de Khashoggi, a été la première personne à recevoir les embrassades de Donald Trump, alors président des États-Unis, lors du G20.
Dans le cas du Canada, nous avons commis l’erreur d’annoncer sur Twitter que les droits de la personne d’un citoyen canadien étaient en train d’être violés en Arabie saoudite, ce qui nous a valu d’être mis au banc des pénalités pendant cinq ans. Et aucun de nos amis n’a été là pour nous soutenir. Et puis, bien sûr, il y a la célèbre affaire des deux Michael, ces deux anciens ambassadeurs canadiens qui ont été emprisonnés en Chine pendant plusieurs années alors qu’ils n’avaient absolument rien fait de mal. En fait, ça s’est produit après qu’on ait été pris en flagrant délit en train de rendre service à nos amis les États-Unis en exécutant un mandat d’arrêt en cours qu’ils avaient émis pour une citoyenne chinoise, et rien n’a été fait pour nous aider.
Tout ça pour illustrer une vérité que nous connaissons tous très bien. Dans ce monde, il n’y a pas d’amis, seulement des intérêts. Si vous avez besoin d’un ami, trouvez un chien, parce que personne d’autre ne sera là pour vous aider en cas de besoin. C’est ça, la deuxième partie de l’histoire.
La troisième partie de l’histoire, c’est que M. Trudeau a une part de responsabilité dans tout ça. On voulait recentrer notre stratégie sur la région indopacifique et s’éloigner de la Chine. On voulait d’une mission commerciale en Inde. Mais la relation personnelle de M. Trudeau avec M. Modi a parfois fait obstacle à ces projets. Et le plus grand écueil à éviter est la politique intérieure ou de la diaspora.
Une partie des Sikhs souhaite la création d’un État indépendant en Inde, le Khalistan. Vous pouvez imaginer ce que l’Inde en pense, pour nous, ce serait comme si le Québec tentait de faire sécession et de créer un État québécois indépendant. Voici notre point de vue : on est en faveur d’une Inde unie, mais en tant qu’État de droit, on ne peut pas empêcher les citoyens de manifester légalement et on respecte leur liberté d’expression.
Malheureusement, l’Inde ne l’entend pas de cette façon. Elle estime qu’on devrait prendre des mesures plus sévères. Elle pense qu’on soutient et qu’on approuve ces indépendantistes. Et elle est vraiment, vraiment mécontente de ça.
Et la goutte d’eau qui fait déborder le vase, c’est qu’une grande communauté sikhe vit au Canada, je crois même que c’est la plus grande qui existe en dehors de l’Inde. Et elle se trouve dans un certain nombre de circonscriptions électorales très vulnérables. Ces régions sont âprement disputées dans notre pays. C’est pour ça que le gouvernement du Canada et l’autre parti essaient de trouver un équilibre délicat entre le respect de nos engagements envers l’Inde et la volonté de ne pas aller trop loin, pour ne pas fâcher la diaspora sikhe. C’est ainsi qu’on se retrouve dans cette situation extrêmement tendue, qui a mis le Canada dans une position très difficile sur la scène mondiale et avec l’Inde, qui est un partenaire commercial très important et amical.
PETER HAYNES : Eh bien, ça fait un sacré nombre de sujets que tu me proposes d’aborder. Tu as dit qu’on y reviendrait, et je pense qu’on peut approfondir ça maintenant : l’Inde a accusé le Canada d’héberger des terroristes. Nijjar avait été désigné comme un terroriste en Inde. L’Inde accuse le gouvernement canadien d’héberger des terroristes sikhs indépendantistes. Comme les citations semblent être à l’honneur aujourd’hui, je vais reprendre un mot d’Arindam Bagchi, le ministre indien des Affaires étrangères.
Il a déclaré que le Canada était un pays qui avait, je cite, « de plus en plus la réputation d’héberger des extrémistes religieux » et qu’il devait, je cite encore, « s’inquiéter de sa réputation internationale ». J’aimerais savoir si tu penses qu’on souffre encore des effets de l’attentat subi par Air India en 1985. Et si tu étais à la tête du gouvernement canadien, comment réagirais-tu à ces déclarations fortes accusant le Canada d’héberger des terroristes?
FRANK MCKENNA : Eh bien, tout d’abord, je dirais que ce n’est pas vrai. L’Inde jette un énorme écran de fumée, ici. Je me dois donc de défendre mon pays. En fait, l’Inde a déclaré dernièrement que l’Airbus canadien ou l’avion canadien à bord duquel M. Trudeau voyageait était rempli de cocaïne, suggérant que c’était pour ça que le premier ministre n’était pas sorti de sa chambre pendant deux jours par la suite.
Je veux dire, c’est un comportement extraordinairement diffamatoire et dégoûtant, mais l’Inde a décidé de se battre sans aucune retenue. On voulait qu’ils participent et collaborent à l’enquête. Mais ce n’est pas ce qu’il se passe. Et bien sûr, comme l’Inde a beaucoup à perdre sur la scène mondiale, et que beaucoup de noms sont impliqués dans cette affaire, elle se bat vraiment bec et ongles.
Je ne pense pas qu’il soit juste de dire que notre pays a tendance à héberger des terroristes. Encore une fois, je le répète : une même personne peut être considérée comme un terroriste par certains et être vue comme un champion de la liberté par d’autres. Nous avons chez nous des gens qui viennent de la Syrie, de la Libye, de l’Afghanistan. Nous avons chez nous des gens qui sont venus des quatre coins du monde et qui ont fui des guerres étrangères dans d’autres pays dont les gouvernements leur sont certainement hostiles. Mais je pense que les qualifier de terroristes hébergés sur le sol canadien serait vraiment exagéré.
Nous sommes un grand pays multiethnique. Nous avons une importante diaspora issue de diverses communautés. On pourrait considérer notre diaspora ukrainienne comme l’ennemie de la Russie. Et c’est le cas. Il y a 1,3 million d’Ukrainiens chez nous. Bien sûr, on pourrait considérer de la même façon la diaspora sikhe qui souhaite la création de l’État indépendant du Khalistan comme l’ennemie du gouvernement indien.
Mais notre pays est épris de liberté et a mené une lutte acharnée pour établir une solide charte des droits. Et je ne pense pas que les Canadiens soient prêts à renoncer à ces précieux principes qui permettent aux gens de s’exprimer librement. Il y a des moments où je pense qu’on pourrait être plus confiants.
Honnêtement, je pense qu’on devrait vraiment s’affirmer vis-à-vis de l’Inde et lui dire qu’on est de son côté sur ce point, qu’on est pour une Inde unie. On devrait souligner qu’on ne soutient en aucun cas les indépendantistes en Inde. Je pense qu’on pourrait affirmer ces choses de manière beaucoup plus catégorique. Je pense aussi qu’on devrait mettre un point d’honneur à demander aux gens qui viennent au Canada de ne pas y apporter leurs luttes. S’ils choisissent de venir dans notre pays et qu’ils deviennent des citoyens canadiens avec des valeurs canadiennes, ils doivent renoncer à leurs combats étrangers.
PETER HAYNES : En discutant avec Chris Krueger, notre collègue et expert de Washington, je lui ai demandé quels remous cette affaire causait à Washington. Il m’a répondu que ça ne suscitait pratiquement aucune réaction parce que tout le monde était trop occupé avec les affaires intérieures, notamment concernant la fermeture de Washington, pour prêter attention à ça. Concernant nos alliés, tu as parlé d’intérêts, ou pour reprendre tes mots : « Dans ce monde, il n’y a pas d’amis, seulement des intérêts. » Eh bien, ces intérêts servent leurs propres intérêts, c’est pourquoi ils ne critiquent pas l’Inde.
Allons-y avec les intérêts du Canada. J’ai vu des échanges de courriels entre certains analystes d’actions canadiennes de Valeurs Mobilières TD sur les répercussions potentielles à plus long terme si ce différend avec l’Inde se poursuit, p. ex., la diminution des investissements des entreprises indiennes au Canada, la baisse du nombre de touristes indiens ou bien la réduction encore plus marquée du nombre d’Indiens venant étudier dans les universités canadiennes. Ça représente une part importante du PIB canadien. Est-ce que tu penses que ces risques sont importants et qu’ils pourraient causer des problèmes à plus long terme?
FRANK MCKENNA : Eh bien, pour qu’ils deviennent importants, il faudrait que le gouvernement indien décide d’aggraver le différend. En fait, notre relation commerciale est bonne et respectueuse. L’Inde est notre 10e plus important partenaire commercial. Nos échanges commerciaux annuels avec eux dépassent les 9 milliards de dollars. Plus d’un tiers des exportations de certaines provinces, en particulier la Saskatchewan, sont à destination de l’Inde, ce qui explique probablement pourquoi de tous les premiers ministres, c’est de loin celui de cette province – Scott Moe – qui a le plus parlé de l’Inde.
Là où le bât blesse, à bien des égards, c’est auprès de la population étudiante internationale. Quarante pour cent des étudiants étrangers au Canada viennent de l’Inde. Ça représente plus de 300 000 personnes. Et ils offrent un soutien financier extraordinaire à bon nombre de nos universités partout au pays. Ce serait donc une grosse perte.
Mais on a aussi d’énormes investissements en Inde, et je ne pense pas que l’Inde serait très heureuse de les perdre. Parmi les acteurs importants, on pourrait citer le Régime de pensions du Canada, mais aussi Manuvie, me semble-t-il, ou encore Fairfax. Avec des milliards de dollars d’investissements, Brookfield est le plus important gestionnaire d’actifs alternatifs en Inde.
On a beaucoup d’investissements canadiens en Inde qui soutiennent des relations très, très importantes. Je ne voudrais surtout pas voir des entreprises souffrir à cause de cette lutte politique. J’espère que la raison triomphera et qu’on suivra ce que nous disent les preuves.
PETER HAYNES : De toute évidence, deux scénarios sont possibles. Le premier, c’est que les preuves soient démenties ou qu’on découvre qu’il ne s’agit que de rumeurs, ce qui ridiculiserait complètement le Canada. Le second, c’est que les preuves sont irréfutables, comme ça a été le cas pour le meurtre de Jamal Khashoggi. Et dans ce scénario, qu’est-ce qu’il se passe? Si l’Inde se sent gênée diplomatiquement, elle va essayer, comme tu dis, de jeter de nouveaux écrans de fumée et de faire diversion en essayant d’attirer l’attention sur d’autres problèmes. Qu’est-ce qui va arriver? Et quand?
FRANK MCKENNA : Oui. J’espère que les services de sécurité concernés reconnaîtront l’urgence de la situation. Et on dirait qu’ils ont rassemblé beaucoup de preuves en peu de temps, alors j’espère que ce sera pour bientôt. Comme pour Air India, on pourra peut-être identifier les auteurs de ces crimes, mais pas réunir les preuves nécessaires pour obtenir une condamnation devant un tribunal.
C’est un risque. Et on va devoir gérer ça si c’est ce qui arrive. Si les preuves et le lien avec l’Inde sont irréfutables, je pense que l’Inde n’assumera pas sa responsabilité et qu’elle brouillera les cartes. Ça ne serait pas les premiers à faire ça. Il y a quelques années, des missiles russes ont abattu un avion au-dessus de la Croatie, et même si ça ne fait aucun doute, la Russie refuse d’en assumer la responsabilité.
Et dans presque toutes les situations du même type dans le monde, on remarque que le pays agresseur a tendance à se contenter de brouiller les cartes, à faire diversion et à jouer suffisamment sur l’ambiguïté pour éviter de se retrouver dans l’embarras politiquement. Et c’est aussi ce qu’il va se passer ici. Je pense qu’il est très improbable que l’Inde reconnaisse que les allégations sont vraies, qu’elle dise que ça n’aurait pas dû arriver, que ça s’est fait sans autorisation, ou peu importe, et qu’elle déclare qu’elle en assumera la responsabilité. À mon avis, ça n’arrivera pas.
PETER HAYNES : À mon grand étonnement, j’ai découvert que neuf Canadiens sur dix ne savaient rien de l’accident d’avion d’Air India en 1985 ou des bombardements. C’est incroyable de voir à quel point tous ces problèmes dans l’histoire du Canada ou en général ne sont pas bien vulgarisés ou bien compris. Clairement, ce n’était pas une bonne journée pour notre pays.
On va passer à une autre journée peu glorieuse pour le Canada. Je fais référence au jour où Zelensky, le président ukrainien, a pris la parole devant le Parlement canadien la semaine dernière. Cette journée aurait dû être placée sous le signe de l’unité et du soutien envers l’Ukraine.
Mais après le discours de Zelensky, Anthony Rota, le président de la Chambre des Communes, a fait venir un invité spécial : un ancien combattant pour l’indépendance de l’Ukraine contre la Russie pendant la Deuxième Guerre mondiale de 98 ans du nom de Yaroslav Hunka. M. Hunka a reçu, je crois, deux ovations debout au Parlement avant que l’on découvre plus tard qu’il s’était battu pour l’Allemagne nazie. Les médias d’État russes ont sauté sur cette occasion pour répéter qu’ils luttaient contre les nazis. Et l’histoire a fait les gros titres de presque tous les organes de presse dans le monde. Et ensuite, Frank?
FRANK MCKENNA : Encore une fois, mea culpa, mea culpa. Voilà. Anthony Rota s’est excusé et a même démissionné. Et toutes sortes d’autres personnes ont présenté des excuses. C’était une erreur. En fin de compte, c’était une erreur.
Mais l’affaire a été montée en épingle pour deux raisons. La première concerne le contexte politique actuellement très compétitif au Canada avec les libéraux et les conservateurs, ces derniers attaquant un Justin Trudeau qui doit se défendre sur beaucoup de points. C’est donc une occasion de plus pour eux de mettre Trudeau sur la défensive.
La seconde est que cette affaire favorise un récit très controversé sur l’Ukraine. Et la Russie, qui ne cesse de répéter que l’Ukraine est un pays nazi dirigé par des nazis, a donc beau jeu pour justifier son invasion de ce pays. On dirait que chaque fois que quelqu’un veut rejoindre le camp des Russes, il utilise le terme de nazi. Alors, cette affaire s’intègre très bien à ce récit, et c’est pourquoi elle prend une certaine importance internationale.
Il ne faut pas oublier que le grand-père de Chrystia Freeland, notre ministre des Finances et vice-première ministre, a été accusé d’avoir été un nazi en Ukraine. Ça a été nié, mais la simple existence de cette allégation montre à quel point ce mot est dégradant dans le contexte actuel. Je ne dis pas ça pour défendre qui que ce soit dans ce débat, mais il faut se rendre compte que tout ça nous ramène à une période très déroutante de l’histoire de l’Ukraine.
L’Ukraine avait vraiment des ennemis de tous les côtés. Les Allemands étaient leurs ennemis et les Russes étaient leurs ennemis. Et parfois, ils ne savaient pas qui ils devaient combattre. Les historiens eux-mêmes ne savent pas encore très bien qui était du bon côté et qui était du mauvais, alors, la confusion générale actuelle n’est pas surprenante.
PETER HAYNES : Alors, est-ce que tu penses que cette affaire va se tasser? D’après ce que j’ai pu voir, le bilan de ce monsieur Rota était impeccable. Tu en sais peut-être plus. Mais il a commis une erreur. Certains soutiennent que comme le premier ministre a permis que ça se produise au Parlement, il aurait dû en prendre davantage pour son grade ou assumer une plus grande responsabilité. Est-ce que l’affaire va se tasser tranquillement, Frank, ou est-ce qu’elle va encore faire parler d’elle?
FRANK MCKENNA : Elle va se tasser. Certes, le premier ministre ou quelqu’un d’autre devra peut-être s’excuser à nouveau, mais ça n’a pas vraiment d’importance. Les partis de l’opposition veulent simplement du sang. Une fois qu’ils en auront eu leur content, l’affaire se tassera.
Après tout, de quoi s’agit-il? Un homme de 98 ans a été honoré par erreur à la Chambre. Cette erreur a été commise par le conférencier. Il en a assumé les conséquences. Je ne vois pas bien ce qu’on peut dire de plus.
PETER HAYNES : Oui, je suis d’accord. On va y aller avec une autre histoire qui fait les gros titres et qui nous vient de l’ouest du Canada. Et ça concerne en particulier l’Alberta. Ça concerne la publication longtemps attendue d’une étude parrainée par la province sur les répercussions de l’établissement d’un régime de pensions pour l’Alberta indépendant du Régime de pensions du Canada. Ce sujet était à l’ordre du jour pendant la campagne de réélection de la première ministre Danielle Smith.
Le fond du sujet, ce sont les dernières données démographiques en Alberta qui révèlent que les citoyens ont l’impression de cotiser de façon disproportionnée au Régime de pensions du Canada. Le rapport commandé par le gouvernement à la société LifeWorks est l’aboutissement d’une longue étude sur les avantages et les inconvénients de l’établissement d’un régime de pensions propre à l’Alberta, l’Alberta Pension Plan, ou l’APP. Et certains titres de l’étude sont très incendiaires.
Elle montre par exemple qu’en cas de sortie théorique en 2027, 53 % des actifs du Régime de pensions du Canada reviendraient aux Albertains, alors même que ces derniers ne représentent que 15 % de la population. Le rapport part de ces hypothèses de base pour soutenir qu’un Régime de pensions propre à l’Alberta coûterait nettement moins cher en cotisations aux travailleurs et aux employeurs de l’Alberta, du moins actuellement. Ces économies sont estimées à 5 milliards de dollars rien que la première année.
La prochaine étape consiste à demander aux citoyens de voter. C’est ce que le gouvernement de l’Alberta a accepté de faire. C’est un sujet complexe et délicat. Avant la publication de ce rapport, la population générale de l’Alberta n’était pas vraiment en faveur de la création d’un régime indépendant, selon les sondages. Mais même s’ils sont trompeurs, les chiffres publiés peuvent être convaincants.
Certaines personnes que je connais maîtrisant le langage utilisé lors d’une division provinciale disent qu’il y a énormément de zones grises dans le processus et que les calculs et les hypothèses sont déterministes. Par exemple, en cas de sortie dans trois ans, il faut donner un préavis de trois ans et il y a d’autres points à considérer : p. ex., la province obtient-elle une part proportionnelle des investissements actuels dans le Régime de pensions du Canada, comme une partie de l’autoroute 407, ou bien des espèces? Et qui paie les coûts de liquidation des actifs nécessaires pour générer le gros chèque de transfert?
Mon explication a pris du temps, mais je pense que c’était important pour comprendre le contexte, et j’ai vraiment approfondi le sujet. Mais d’après ton expérience, Frank, compte tenu de la complexité de ce thème, quels sont les meilleurs arguments des experts en désaccord avec le rapport de LifeWorks?
FRANK MCKENNA : Je trouve cette discussion incroyablement triste. C’est triste pour le pays. C’est triste pour moi, personnellement, parce que j’ai participé au Régime de pensions du Canada toute ma vie politique et que j’ai adhéré à sa dernière version. Et nous tous, y compris le premier ministre de l’Alberta et tous les autres premiers ministres, pensions que c’était une bonne chose, quelque chose de juste pour le Canada.
Le défi à relever dépasse de loin le Régime de pensions du Canada. C’est essentiellement une question de fédéralisme comptable. L’idée derrière ça, c’est de diviser le pays en fonction des investissements et de la valeur que chacun apporte. Tu es bien placé pour le savoir, Peter, parce que tu travailles dans le même secteur que moi : le Régime de pensions du Canada est considéré comme l’une de nos plus grandes réussites non seulement dans notre pays, mais aussi partout dans le monde.
Quand je suis à l’international, les gens me parlent avec une grande admiration de la gestion de nos régimes de pensions, de l’intégrité dont on fait preuve dans cette gestion et de notre réussite en la matière. J’en profite pour souligner une autre chose que j’entends à l’international : le Canada est un grand pays. En fait, pas plus tard que cette semaine, j’ai vu un sondage mondial indiquant que le Canada est considéré comme le deuxième plus grand pays au monde après la Suisse, qui est bien sûr un très petit pays.
On a un énorme actif, le Canada, et un autre énorme actif, le Régime de pensions du Canada, est soudainement menacé de façon très irrationnelle, selon moi. Si on prend l’Alberta au mot et que l’on considère qu’elle devrait obtenir 53 % des actifs, même si elle ne verse que 16 % des cotisations, on devrait accorder le même privilège à d’autres provinces comme la Colombie-Britannique ou l’Ontario. Et si l’Ontario raisonnait de la même façon et retirait son argent, ce serait la fin du Régime de pensions du Canada. Ce serait vraiment fini.
Est-ce que c’est ce qu’on veut pour les Canadiens? Qu’est-ce qu’on veut pour la transférabilité? Est-ce qu’on veut pouvoir passer d’une province à l’autre? Est-ce qu’on veut que les centaines de milliers de personnes qui travaillent dans les sables bitumineux du Canada atlantique puissent continuer à le faire et ainsi à contribuer au bien-être de l’Alberta et à profiter des prestations du Régime de pensions du Canada? Je pense que oui.
Je pense que la plupart des Canadiens veulent un vrai pays. Et si ce n’est pas le cas, alors on va découper le pays et répartir les actifs entre nous. Et si on veut vraiment entrer dans le vif du sujet, on va aussi devoir parler de plein d’autres questions à l’ordre du jour, par exemple, le captage et le stockage du dioxyde de carbone. Je peux t’assurer qu’au Nouveau-Brunswick, le dioxyde de carbone n’est pas capté ou stocké. L’Alberta profite donc d’un allégement fiscal massif de dizaines de milliards de dollars.
Et les puits orphelins? Je n’en ai vu aucun dans le centre-ville de Toronto. Ils sont tous en Alberta et en Saskatchewan. Ces provinces bénéficient de milliards de dollars de crédits d’impôt. Je suis favorable à tous ces investissements. Je dis simplement qu’on ne m’a jamais demandé mon avis quand ils ont été faits. Je pourrais très bien dire que ça n’est pas normal, parce que c’est uniquement pour l’Alberta et demander à récupérer ma part.
C’est pour ça que je pense que c’est une terrible erreur que de commencer à diviser le pays de cette façon. La province de Québec nous pose déjà assez de difficultés comme ça et je pense qu’elle ne reconnaît pas toujours la chance qu’elle a de faire partie du Canada, et de profiter des fruits de l’égalisation et de la réputation internationale de notre pays. Si ces difficultés s’étendaient à d’autres provinces, les Canadiens pourraient finir par se demander si tout ça en vaut la peine, si ça a du sens de se disputer pour tout ça.
Les provinces qui le souhaiteraient pourraient alors devenir indépendantes. Et celles qui voudraient rester et bâtir un pays le feraient. En ce qui me concerne, je me battrais jusqu’au bout pour bâtir un grand pays avec tous ceux qui le souhaiteraient encore.
Je ne pense pas que la province de l’Alberta aille dans cette direction. Je ne pense pas que les Albertains souhaitent ça. Je suis juste vraiment très fâché qu’une première ministre de l’Alberta se serve d’une question aussi brûlante pour diriger l’opinion publique contre le reste du Canada. Je trouve que c’est une triste journée pour nous tous, c’est tout.
PETER HAYNES : C’est aussi très compliqué, Frank. J’ai lu le rapport en détail, et je communique aussi avec certains de mes amis du secteur des pensions. Je n’arrive pas à comprendre comment ils en sont arrivés à ce chiffre de 53 % des actifs. On dirait qu’ils estiment que leur taux de cotisation très élevé leur donne droit à une proportion plus élevée, voire à la totalité du revenu de placement gagné par le Régime de pensions du Canada, en particulier lors des cinq à dix dernières années, où il a augmenté de manière parabolique. Parce que toutes les hypothèses sont fondées sur le montant d’argent qui va en Alberta le premier jour. C’est sur ça que repose tout.
Mais une autre étude de recherche universitaire réalisée par M. Tombe, professeur à l’Université de Calgary, a été publiée le même jour. Selon son hypothèse, seulement 125 milliards de dollars, soit 25 % des actifs, reviennent à l’Alberta, quelque chose comme ça. C’est un chiffre bien moindre. Ça change toute la dynamique. Je suis donc de ton avis, Frank.
J’aimerais que ce problème ne soit pas au cœur des débats. Je suis fier d’être canadien, et j’en ai assez que l’on continue de parler de ça. Espérons qu’après avoir bien débattu et clarifié ce qui est avancé, les citoyens de l’Alberta reconnaîtront que leurs attentes sont irréalistes, et que cette question finira par être mise de côté.
Il y a aussi de bonnes nouvelles pour le Canada, Frank. Une décision a été rendue pour permettre de changer le tracé sur une courte portion du réseau d’oléoducs Trans Mountain, qui est sur le point d’être achevée. C’était près de Kamloops. Ça ouvre la voie à la réalisation de ce projet au Canada, avec la possibilité d’élargir ou de doubler le réseau.
Ça fait maintenant des années que tu parles dans ces balados de la nécessité d’acheminer le pétrole brut canadien vers les eaux de marée. Et ce projet, bien qu’il ait largement dépassé le budget, qu’on le repousse depuis très longtemps et qu’il relève maintenant de la responsabilité du gouvernement fédéral, est sur le point de se concrétiser. Quelle est l’importance de ce développement? Et que peut-on répondre à l’objection de la communauté ESG, à savoir que l’expansion du réseau des oléoducs ne fera que prolonger la dépendance aux combustibles fossiles?
FRANK MCKENNA : Tout d’abord, je considère cette décision comme un triomphe de la raison. Ensuite, on n’obtiendra notre premier dollar de capital de ce réseau que lorsque le dernier dollar de capital sera investi. Plus vite il sera mis en service, plus vite nous pourrons rembourser les contribuables canadiens et régler d’autres problèmes.
Enfin, cet argument des gens soucieux de l’environnement, et je suis de ceux-là, peut sembler sérieux : si on ne parvient pas à mettre sur le marché un demi-million de barils de pétrole par jour, ce sera autant de barils de pétrole par jour en moins dans le monde, et donc un monde plus vert. Sauf que c’est faux. C’est tout simplement faux.
D’abord, on va réussir de toute façon à mettre 500 000 barils par jour sur le marché. On peut envoyer par train ou bien les vendre aux États-Unis avec d’énormes rabais, et ils finiront par empocher des dizaines de milliards de dollars canadiens. Et même si on n’y parvenait pas, le Venezuela, le Nigéria, l’Arabie Saoudite ou un autre pays augmentera sa production et remplacera simplement nos barils par les siens. Il est insensé de penser que nos barils feront la différence dans la quantité de dioxyde de carbone produite dans le monde.
En revanche, si on fait ce que je pense qu’on va faire, énormément d’argent et de mesures incitatives et scientifiques seront mobilisés pour produire les barils les plus propres au monde. Je pense que ça permettra d’améliorer la technologie disponible en la matière dans le reste du monde. C’est pour ça que je ne vois aucune contradiction à m’affirmer fervent défenseur de l’environnement tout en pensant que c’est exactement ce qu’il faut faire.
C’est aussi une source de revenus et de richesse supplémentaire pour les Canadiens, qu’ils pourront utiliser pour faire ce qu’ils veulent, que ce soit pour des soins dentaires, des soins pharmaceutiques ou pour compléter leur revenu. Sur tous ces points, je suis heureux que l’on fixe une date de versement des commissions aussi vite que possible.
PETER HAYNES : Frank, juste quelques questions de procédure : le gouvernement a dit qu’une fois que le pétrole coulera, il privatisera Trans Mountain et les groupes autochtones conserveront la propriété de l’actif. Quel pourrait être l’échéancier d’une éventuelle privatisation? Et comment est-ce que tu penses que ça va se passer?
FRANK MCKENNA : Oui, c’est une question intéressante, qui traîne depuis des années. Et j’ai participé à une partie de la discussion. La problématique est la suivante. Quand la valeur maximale est-elle atteinte? Je dirais que la valeur maximale est atteinte lors de la production du premier baril de pétrole.
C’est à ce moment-là qu’on sait quels sont les paramètres du marché et les coûts du projet. Alors, je pense que le gouvernement du Canada ne devrait pas effectuer d’opérations avant ça pour s’assurer d’avoir des occasions de rendements maximums. Et je ne pense pas que ce serait juste pour les contribuables canadiens. C’est un des problèmes. Pour ce qui est du moment, c’est quand le premier baril de pétrole sera produit.
Ensuite, il s’agira nécessairement d’un processus complexe. Je crois que c’est une bonne chose que les Premières Nations participent au réseau d’oléoducs, et qu’elles devraient avoir des actions dans ce projet comme dans beaucoup d’autres projets d’exploitation des ressources. Ensuite, il y a la question du financement. Est-ce que le projet sera financé par les contribuables canadiens? Est-ce qu’il sera financé par des institutions financières? Est-ce que ce sera des actions? Est-ce que ce sera de la dette? On doit trouver une solution.
Ensuite, il faudra déterminer qui participera. Je sais que les titulaires de droits et de titres qui sont sur le chemin du pipeline estiment qu’ils devraient être les principaux bénéficiaires. Et je vois bien la logique derrière cet argument. Mais il y a aussi des communautés des Premières Nations partout au Canada qui estiment avoir le droit de participer au projet. Alors, comment déterminer quelles communautés et lesquels de leurs membres participeront?
Quelle structure juridique choisir? Et quelle sera la structure de gouvernance? On ne peut pas avoir une structure de gouvernance qui implique de réunir 500 communautés différentes pour parler à une personne et dont les membres ne sont d’ailleurs pas tous d’accord les uns avec les autres. Tous ces problèmes peuvent et doivent être réglés, mais travailler sur la propriété autochtone n’est pas une mince affaire.
PETER HAYNES : Eh bien, étant donné qu’on s’approche sans doute d’une conclusion, c’est certainement quelque chose dont on va parler dans ce balado surtout au début de 2024. Frank, je vais conclure cet épisode. Tu te rappelles quand j’ai dit que je te réservais une petite surprise parce qu’il y a tellement de sujets dont on pourrait parler aujourd’hui? Je pense que nous n’avons jamais eu un mois aussi riche en sujets de géopolitique depuis le début de ce balado. Je vais te proposer de choisir parmi six ou sept sujets différents à commenter. Tu es d’accord?
Tout d’abord, plus tôt cette semaine, Rishi Sunak, le premier ministre britannique, a reculé sur certaines cibles ESG ambitieuses de son gouvernement, y compris la date butoir pour le passage aux véhicules électriques et l’interdiction des chaudières à gaz pour les ménages. C’est le premier sujet. Le deuxième concerne les derniers rebondissements qu’a connus le gouvernement de Doug Ford, ici en Ontario.
Ensuite, il y a la question des pronoms, qui sont un problème important partout au pays en ce moment. Tu pourrais aussi parler de l’éventualité d’une fermeture du gouvernement aux États-Unis. Tu pourrais également nous dire ce que tu penses des déclarations de Stephen Schwarzman de Blackstone, qui a laissé entendre qu’un candidat surprise pourrait apparaître, car les citoyens des États-Unis en ont assez des anciens présidents.
Enfin, je te propose de parler de Robert Menendez et de son inculpation pour avoir participé à des activités illégales dans l’État du New Jersey, ou du deuxième débat présidentiel pour le leadership du parti républicain. Voilà, c’est tout. De quel sujet est-ce que tu veux parler?
FRANK MCKENNA : Est-ce que je peux en choisir plusieurs?
PETER HAYNES : Non, un seul, parce qu’autrement, l’épisode risque de durer deux heures.
FRANK MCKENNA : Le sujet le plus important est la fermeture du gouvernement américain. Et je pense qu’on s’y dirige dangereusement. Le Sénat va mettre en place un ensemble de mesures, une sorte de planche de salut. Comme le sénateur Rand Paul bloque les choses, je pense que rien ne sera prêt avant samedi, à peu près. Et d’ici là, on sera en bonne voie vers la fermeture. Et puis, bien sûr, le projet doit être adopté par la Chambre. Et tant que les sympathisants de Trump bloqueront les choses, je ne suis même pas certain qu’il soit adopté par la Chambre.
C’est le drame habituel. On voit ça tout le temps. Mais il est probable que le gouvernement américain soit paralysé, à ce stade. Il ne le sera pas à 100 %. Peut-être que 30 % des activités financées seront paralysées. Mais pour le moment, je dirais que c’est le scénario le plus probable. Entre-temps, il y aura beaucoup de rebondissements.
Pourquoi est-ce important? Parce que, premièrement, si ça se produisait, ça affaiblirait l’économie américaine. Ça ralentirait sans doute la croissance du PIB et ça aurait sans doute un effet sur les décideurs. Ensuite, ça risque d’aveugler les décideurs. Ils n’auront pas les données dont ils ont besoin pour prendre des décisions. Par ailleurs, je pense que ce serait humiliant pour les États-Unis aux yeux du monde. Et enfin, ce serait une preuve de plus de la polarisation massive aux États-Unis, qui met les gens dans une situation inconfortable.
PETER HAYNES : Oui, j’espère que le sang-froid triomphera. C’est un processus difficile à expliquer aux personnes qui ne vivent pas aux États-Unis. J’en profite donc pour mentionner à nos auditeurs que tu seras sur scène lors de notre conférence du 2 novembre sur la gestion de portefeuille et la structure des marchés. Tu seras en compagnie de Chris Krueger. Et ce sera très intéressant, parce que vous pourrez discuter de certains de ces sujets en les approfondissant un peu plus. Et il y a beaucoup de choses à dire.
Comme d’habitude, on finit par du baseball. Les Jays ont encore cinq parties à jouer pour cette saison. J’ai assisté à celle d’hier soir, et on a perdu 2 à 0. On ne peut pas dire que ce soit réjouissant. Une autre chaîne, ESPN, je crois, estime qu’on a 95 % de chances de participer aux séries éliminatoires. Je vais me ranger à l’avis des parieurs et tabler sur le fait qu’on va réussir et qu’on se retrouvera dans une série éliminatoire de trois parties à commencer par les Rays de Tampa Bay à compter de mardi prochain. Et ensuite, Frank?
FRANK MCKENNA : Je pense qu’on va réussir, mais je ne suis pas aussi confiant que les parieurs. On va devoir affronter de très bons lanceurs.
PETER HAYNES : Oui.
FRANK MCKENNA : Et franchement, je ne suis pas impressionné par la créativité des Jays pour marquer des points. Je suis dubitatif. Et je m’inquiète pour Romano et son bras. Les choses ne sont vraiment plus jolies à voir au bout de la neuvième manche.
Mais après avoir dit ça, disons qu’on va réussir. A priori, on devrait affronter les Rays de Tampa Bay. En fait, je pense qu’on a vraiment nos chances. Je crois qu’on a prouvé qu’on pouvait rivaliser avec eux. Et ils ont subi des pertes énormes chez leurs lanceurs, certains étant partis pour l’année, en plus d’autres blessures. Ça pourrait être un bon moment pour les affronter.
PETER HAYNES : Je suis d’accord avec toi, on a de bonnes chances de l’emporter contre eux, ensuite ça dépendra de nous. Je vais te poser une dernière question, Frank. Compte tenu de ce que tu viens de dire sur Romano et de tes inquiétudes concernant la neuvième manche, j’aimerais savoir si tu penses que ce serait une bonne idée de solliciter Jordan Hicks ou quelqu’un d’autre pour conclure les parties? Je ne fais pas confiance à Hicks. Et toi? Ce ne serait vraiment pas une décision anodine.
FRANK MCKENNA : Je pense que cette décision doit être prise collectivement. Je pense que Romano est l’homme qu’il faut. Je crois qu’on peut lui faire confiance, à condition qu’il n’ait pas de problème physique. S’il a un problème d’ongle qui diminue ses capacités, eh bien, ça peut être un prétexte pour prendre quelqu’un d’autre. Mais je fais plus confiance à Romano qu’à Hicks.
PETER HAYNES : Eh bien, Frank, j’espère qu’on parlera encore de baseball dans le prochain balado. Et le mois prochain, on pourra peut-être aussi parler d’un des nombreux sujets que j’ai évoqués à la fin de cet épisode. Alors, Frank, je te remercie encore au nom de tous nos auditeurs. J’ai hâte de discuter de nouveau avec toi le mois prochain.
FRANK MCKENNA : OK. Merci. La prochaine fois, il y aura plus de bonnes nouvelles et moins de sujets angoissants. C’était douloureux.
PETER HAYNES : Je suis d’accord, surtout que beaucoup de ces choses étaient liées au Canada.
FRANK MCKENNA : Oui.
PETER HAYNES : Merci d’avoir écouté Geopolitics. Ce balado de Valeurs Mobilières TD est produit à des fins d’information. Les points de vue qui y sont décrits sont ceux des personnes et peuvent représenter ou non ceux de la TD ou de ses filiales. Il ne s’agit pas de conseils en matière de placement, de fiscalité ou autre.
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Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
À titre de président suppléant, Frank a pour mandat de soutenir l’expansion soutenue de Valeurs Mobilières TD à l’échelle mondiale. Il est membre de la direction du Groupe Banque TD depuis 2006 et a été premier ministre du Nouveau-Brunswick et ambassadeur du Canada aux États-Unis.
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter s’est joint à Valeurs Mobilières TD en juin 1995 et dirige actuellement notre équipe Recherche, Structure des marchés et indices. Il gère également certaines relations clés avec les clients institutionnels dans la salle des marchés et anime deux séries de balados, l’une sur la structure des marchés et l’autre sur la géopolitique. Il a commencé sa carrière à la Bourse de Toronto au sein du service de marketing des indices et des produits dérivés avant de rejoindre Le Crédit Lyonnais (LCL) à Montréal. Membre des comités consultatifs sur les indices américains, canadiens et mondiaux de S&P, Peter a siégé pendant quatre ans au comité consultatif sur la structure du marché de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.