Taux toujours élevés et récession à l’horizon aux États-Unis

oct. 20, 2023 - 8 minutes
Taux toujours élevés et récession à l’horizon aux États-Unis

L’économie américaine continue de défier les attentes malgré le resserrement de politique monétaire le plus rapide de l’histoire récente. C’est notamment la résilience des consommateurs qui laisse croire à un atterrissage en douceur aux États-Unis en 2024. Nous restons néanmoins d’avis qu’une récession est le scénario le plus probable l’année prochaine, malgré la récente vigueur des données économiques, et que le marché sous-estime actuellement cette possibilité en extrapolant ces données trop loin dans le futur.

Devant la vigueur économique du troisième trimestre, la santé financière des consommateurs et le retour progressif à des conditions normales sur le marché de l’emploi, nous reportons d’un trimestre notre prévision de récession aux États-Unis. Nous estimons désormais que la contraction devrait s’amorcer au deuxième trimestre de 2024 avec un repli global un peu plus modeste (du sommet au creux) qui ne devrait durer que deux trimestres, plutôt que les trois antérieurement prévus.

Cette révision de nos perspectives économiques a des répercussions importantes sur nos projections en matière de politique monétaire. Nous nous attendons maintenant à ce que la Fed commence à réduire les taux d’intérêt en juin 2024 plutôt qu’en mars et que l’assouplissement monétaire global soit moins important, de 250 pdb plutôt que de 300 pdb. Nous prévoyons également que la Fed mettra fin au resserrement quantitatif (RQ) parallèlement à la réduction des taux.

Résilience économique = taux élevés

La portée de ce cycle de resserrement de la politique n’a pas été la même que par le passé, mais nous estimons qu’il s’agit d’une question de contexte plutôt que de taux à proprement parler. Le point de départ y est pour quelque chose, car l’état de l’économie américaine à l’amorce du cycle actuel de resserrement a été très différent de ce qui s’est déjà vu, c’est-à-dire inflation ralentie ou maîtrisée ou peu de renfort de la part de la politique budgétaire. De plus, les consommateurs et les entreprises affichent cette fois-ci des bilans solides, ayant su profiter d’un contexte de taux d’intérêt exceptionnellement bas après la crise financière et la période postérieure à la pandémie. À notre avis, tout cela a réduit la portée du resserrement sur l’économie réelle, car il n’y a pas eu urgence en matière de financement au cours de la dernière année et on a donc pu esquiver les taux élevés (émissions d’obligations de sociétés, demandes de nouveaux prêts hypothécaires). D’où notre patience, le temps que les acteurs économiques se rendent bien compte de la pérennité des taux élevés.

D’ailleurs, à cette portée moins grande se greffe une politique monétaire restrictive encore relativement récente. Du point de vue de la gestion des risques, la Fed s’avise sans doute de suivre l’évolution de l’économie réelle en réponse aux resserrements passés. Au fond, la Fed ne veut pas en faire trop.

Récession aux É.-U. : le consommateur décidera

Les perspectives de l’économie américaine continuent de dépendre des consommateurs et, par association, de l’état du marché du travail. Bien que la croissance de l’emploi ait nettement diminué depuis l’an dernier, elle est passée d’une période extrêmement vigoureuse à une période de solidité persistante, ce qui stimule les dépenses de consommation.

Tant que la croissance du revenu nominal demeurera positive, les consommateurs américains continueront de dépenser (peu importe l’épargne excédentaire). Cela dit, la croissance des revenus a clairement diminué au cours de l’année dernière et le marché de l’emploi a perdu de sa vigueur. À notre avis, le décalage habituel entre le resserrement de la politique et le ralentissement du marché de l’emploi a également été partiellement atténué par les perturbations du marché du travail après la pandémie. En effet, il s’est produit un très grand déséquilibre entre l’offre et la demande de main-d’œuvre et une irrégularité des cycles dans certains secteurs de l’économie. À mesure que ces problèmes se résorberont et que les entreprises se rendront à l’évidence que les taux d’intérêt ne sont pas sur le point de baisser, on peut s’attendre à ce que la valeur du marché oriente les projets à moyen terme, ce qui nuira à la création d’emplois.

En fait, une baisse des cours boursiers pourrait aussi être nécessaire pour faire passer le message que les perspectives ne correspondent plus au nouveau contexte de taux élevés. Les entreprises s’abstiennent de se départir de personnel vu les difficultés de recrutement et de rétention depuis la pandémie, ce qui expliquerait le faible niveau de mises à pied en cette phase du cycle. À mesure que le marché de l’emploi se normalisera, il sera également plus facile pour les entreprises de réduire leurs effectifs, car il sera aussi plus facile de réembaucher des employés si la demande ne fléchit pas.

Nous nous attendons également à ce que les décisions d’investissement et les dépenses en immobilisations des entreprises soient de plus en plus touchées au cours des prochains trimestres. Le raisonnement est le même : à mesure que les entreprises assimileront la nouvelle réalité de taux élevés, elles examineront de plus près leurs décisions de placement et d’embauche à moyen terme. Les dépenses en immobilisations sont déjà négatives depuis plusieurs trimestres, même si toutes les conséquences du resserrement des conditions de crédit ne se répercutent pas encore dans l’économie.

Le temps le dira

Même si nous pensons qu’une récession est le scénario le plus probable pour l’an prochain, le moment où elle se produira reste très incertain. D’après nous, la politique n’est devenue réellement restrictive qu’entre le quatrième trimestre de 2022 et le premier trimestre de 2023 et nous estimons à 12 à 18 mois le délai avant que les effets ne s’en fassent ressentir.

De nombreux risques se profilent à l’horizon aussi, dont une autre hausse des taux ou une autre faillite bancaire. Un atterrissage en douceur est le scénario qui risque le plus de faire mentir nos prévisions, une possibilité que nous estimons à 25 %. En effet, l’économie américaine se révèle plus résiliente que prévu en raison de la forte consommation. Par conséquent, la Fed devra rester résolument ferme pendant plus longtemps et continuer de reporter l’assouplissement de sa politique.

En revanche, l’absence d’atterrissage est un scénario très peu probable selon nous, car les conditions macroéconomiques actuelles ne portent pas à une reprise de l’activité et de l’inflation en 2024. Le contexte n’est plus celui de 2020-2021 : la politique budgétaire est moins favorable, la politique monétaire est serrée, l’offre de crédit se contracte et la croissance du revenu nominal revient à des niveaux antérieurs à la pandémie.

Nouvelles prévisions de taux aux États-Unis

Nous révisons à la hausse nos prévisions de taux aux États-Unis en raison de la forte hausse des taux du marché devant la possibilité d’un atterrissage en douceur et vu le report de notre prévision de récession au deuxième trimestre de 2024. Nos prévisions se fondent sur les hypothèses suivantes :

  • Ralentissement économique au cours des prochains mois : Un critère de 5 % pour les taux sur 10 ans ne peut pas être exclu pour le moment, car le marché demeure dans une fourchette technique entre 4,50 % et 5,32 %. Toutefois, nos prévisions supposent une remontée des taux au quatrième trimestre, étant donné la probabilité d’un affaiblissement des données, car la hausse des taux réels pèse sur la croissance. Nous prévoyons un taux de 4,30 % sur 10 ans à la fin de 2023.
  • Une récession oui, mais plus tard : Étant donné le report de notre prévision de récession au deuxième trimestre de 2024, nous prévoyons que les taux d’intérêt resteront élevés à court terme, mais qu’ils commenceront à baisser au début de 2024 en raison du repli des données économiques, ce qui obligera la Fed à envisager des réductions de peaufinage.
  • La prime à l’échéance restera élevée et la courbe pourrait s’accentuer : L’accentuation récente de la courbe s’explique essentiellement par le fait que la prolongation des taux élevés a été prise en compte et par la hausse des primes à terme découlant de problèmes liés à l’offre. La courbe devrait commencer à s’accentuer fortement à mesure que les données économiques fléchiront, mais à court terme, les primes à terme plus élevées pourraient rester le moteur des tendances.

Repenser les taux canadiens

En ce qui concerne les taux canadiens, deux phénomènes sont à signaler. Le plus évident, c’est l’effondrement partout dans le monde de la partie longue de la courbe; le deuxième, c’est la tendance à la hausse des taux à moyen terme des banques centrales. Dans les deux cas, on peut présumer que ce sont les taux élevés sur le long terme qui sont en cause et non pas le risque d’une hausse des taux, car on ne s’attend plus à ce que les taux continuent de monter. Les signes de résilience économique se sont plutôt traduits par des mesures d’assouplissement moindres. Les swaps indexés à 1 jour de 2 ans progressent fortement depuis déjà la mi-mai, atteignant 4,12 % au début d’octobre.

Des taux neutres plus élevés ont un certain intérêt. Parallèlement, nous trouvons problématique l’idée que les taux neutres aient varié de plusieurs points de pourcentage en quelques années seulement, même si les événements des dernières années ont été exceptionnels. Nous sommes toujours d’avis que les taux neutres au Canada et aux États-Unis devraient être à peu près semblables. Bien que l’endettement élevé des ménages pèsera sur l’économie canadienne pendant la majeure partie de la prochaine décennie, la forte croissance démographique du Canada devrait compenser ce fait. Par conséquent, nos prévisions reposent sur une hypothèse de taux neutre de 3,00 % au Canada, conforme à notre prévision récemment révisée pour les États-Unis, qui se situe dans le haut de la fourchette de 2 % à 3 % de la Banque du Canada, mais qui est inférieure d’environ 25 pdb aux récentes estimations de Holston-Laubach-Williams.

Nous reportons également la période de début des réductions de taux au Canada d’avril 2024 à juillet 2024. Ce changement n’a rien à voir avec le changement de nos hypothèses de taux, mais plutôt les récentes mises à jour de notre profil d’inflation. En dehors des scénarios extrêmes, nous croyons que la Banque du Canada, pour rester cohérente, doit réunir quatre éléments avant de réduire les taux. Ces éléments sont les suivants :

  1. une offre excédentaire de l’économie canadienne;
  2. une inflation de base annualisée sur trois mois d’environ 2 %;
  3. une croissance du PIB inférieure à 2 %;
  4. une inflation globale de moins de 3 %.

Selon nous, une inflation globale inférieure à 3 % en 2024 sera le critère déterminant, mais nous ne prévoyons pas que l’inflation passe en dessous de la barre des 3,0 % de façon persistante avant juillet prochain. Par conséquent, nous ne prévoyons pas de réductions avant juillet 2024.

Les clients abonnés peuvent accéder aux rapports complets, y compris au rapport intitulé « H4L and the Case for a U.S. Recession » (en anglais seulement), sur le portail Alpha du marché de Valeurs Mobilières TD


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Stratège en chef, Macroéconomie aux États-Unis, Valeurs Mobilières TD

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Chef, Stratégie de taux aux États-Unis, Valeurs Mobilières TD

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Stratège, Taux américains, Valeurs Mobilières TD

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Andrew Kelvin


Chef, Stratégie canadienne et mondiale liée aux taux, Valeurs Mobilières TD

Andrew Kelvin


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