La résilience de l’économie américaine pourrait-elle faire dérailler la Banque du Canada en 2024?

mai 10, 2024 - 5 minutes 30 secondes
Rangée de drapeaux canadiens à l’extérieur d’un immeuble gouvernemental.

La Banque du Canada (BdC) se rapproche doucement, mais sûrement, de sa première baisse de taux, les données récentes montrant une nette tendance à la baisse de l’ensemble des mesures de l’inflation de base et un nouvel assouplissement des conditions du marché de l’emploi. Toutefois, l’absence de progrès similaires aux États-Unis a soulevé la question de savoir jusqu’où la BdC pouvait aller si la vigueur de l’économie américaine incitait la Fed à maintenir le statu quo plus longtemps que prévu. Nous ne pensons pas que la résilience des États-Unis aura un impact considérable sur le moment de la première baisse de taux par la BdC, mais nous voyons des limites à l’écart que la BdC peut se permettre d’avoir par rapport à la Fed sans mettre en péril les progrès en matière d’inflation. L’histoire nous montre que l’écart entre le taux de la BdC et celui de la Fed peut encore se creuser d’au moins 50 points de base (pdb) avant que les différentiels de taux et l’affaiblissement du huard commencent à peser davantage dans les délibérations de la BdC.

Que nous enseigne l’histoire?

La BdC a démontré sa capacité à s’écarter des taux directeurs de la Fed pendant de longues périodes, mais cette divergence s’est essentiellement limitée à un écart de 75 à 100 pdb entre son taux du financement à un jour et la limite supérieure du taux des fonds fédéraux depuis le début du mandat de la BdC en matière d’inflation. Le taux de BdC est resté 100 pdb en dessous de celui de la Fed pendant la quasi-totalité de la période précédant la crise financière, et nous avons constaté un écart de 75 pdb entre les taux des deux banques centrales de 2010 à 2015 et de 2017 à 2018. Nous avons également observé des perturbations plus importantes entre la BdC et la Fed en 2003 et en 2008, mais ces épisodes se sont produits dans un contexte d’écarts positifs entre le Canada et les États-Unis. Nous les estimons moins pertinents pour 2024 et 2025. De même, les divergences de politique monétaire plus importantes de la fin des années 1990 ne nous semblent pas très significatives. Les 100 pdb constituent donc le niveau de résistance clé en dessous duquel la BdC ne pourrait pas aller par rapport à la Fed, niveau qui devrait être atteint d’ici l’annonce du taux directeur en septembre 2024.

100 pdb : le niveau de résistance de l’écart entre la BdC et la Fed

Une règle non contraignante

Selon nous, l’écart de 100 pdb entre le taux de la BdC et celui de la Fed ne constitue pas une contrainte dans la mesure où nous prévoyons cet écart dans le cadre de notre scénario de base pendant la majeure partie du deuxième semestre de 2024 et en 2025. Toutefois, la tolérance de la BdC à l’égard des écarts se résumera en définitive à son évaluation des conditions économiques du Canada et de la sensibilité du taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien aux différentiels de taux en 2024.

Nous pensons que la BdC sera en mesure de réduire son taux directeur d’au moins 50 pdb avant d’être confrontée à ce dilemme. Selon notre scénario de base, qui prévoit des baisses de taux à partir de juillet, il est peu probable que la résilience persistante de l’économie américaine fasse dérailler la BdC avant le mois d’octobre. Dans un scénario où le raffermissement de la situation économique américaine forcerait la Fed à maintenir le statu quo au-delà de septembre (ce qui n’est pas notre scénario de base), un risque de hausse planerait sur notre prévision selon laquelle le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien atteindrait 1,41 d’ici le quatrième trimestre, compte tenu de la sensibilité historique aux taux à court terme. Dans ces conditions, la BdC devrait équilibrer les risques d’une nouvelle dépréciation du dollar canadien en baissant ses taux pour les porter à 4,25 % ou en les maintenant à 4,50 % pour soutenir la devise et donner plus de temps à la Fed pour rattraper son retard.

Le maintien des taux directeurs à 4,50 % en octobre permettrait également de conserver une politique monétaire plus restrictive à l’approche d’une année qui s’annonce très difficile pour les renouvellements de prêts hypothécaires à taux fixe, 235 G$ de prêts hypothécaires à 5 ans devant être renouvelés à un taux moyen de 2,4 %. Récemment, le gouverneur Macklem a averti que la BdC pourrait sous-estimer l’impact des précédentes hausses de taux sur les renouvellements de prêts hypothécaires. Si, au cours des six prochains mois, la BdC est plus à même de constater que les ménages sont soumis à des tensions financières, elle pourrait conclure que des réductions de taux sont nécessaires pour éviter que l’inflation ne soit inférieure à la cible de 2 %, et ce, même si la Fed maintient le statu quo.

Calendrier de renouvellement des prêts hypothécaires à taux fixe

Quand le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien commencera-t-il à être alarmant?

D’un point de vue macroéconomique, les évolutions du taux de change entre les deux devises doivent être notables pour attirer l’attention de la BdC, et plus encore pour susciter une réaction de sa part. Selon nous, aucun niveau en particulier ne déclenchera de réaction de la part de la BdC, mais nous notons que 1,40 a constitué un niveau de résistance psychologique important par le passé, et nous nous attendons à ce qu’une évolution vers 1,45 soit davantage scrutée par les dirigeants de la BdC.

Des précédents ont pu démontrer que le niveau de 1,45 pouvait irriter la BdC, en particulier au début de l’année 2016, lorsque les prix du West Texas Intermediate (WTI) approchaient de leur creux. Deux semaines avant la réunion du mois de janvier 2016, le gouverneur de la BdC, Stephen Poloz, a prononcé un discours sur la divergence de la politique monétaire entre le Canada et les États-Unis lors de la série de petits-déjeuners du maire à Ottawa (juste après la première hausse de taux par la Fed), dans lequel il a déclaré :

Il est possible d’imaginer une situation où en raison d’une monnaie nettement plus faible, le taux d’inflation d’un pays pourrait se situer bien au-dessus de la cible visée, malgré le maintien de capacités excédentaires persistantes au sein de l’économie. Plus la divergence entre le taux d’inflation et la cible est grande, plus on peut se mettre à douter de la nature temporaire de la divergence. En d’autres termes, il pourrait y avoir un risque que s’atténuent les attentes en matière d’inflation.

— Stephen Poloz, Ancien gouverneur de la Banque du Canada (Discours, 2016)

Le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien est passé de 1,41 à 1,46 entre ce discours et la décision de politique monétaire de janvier, et le gouverneur Stephen Poloz a souligné que ces difficultés en matière de devises étaient un facteur clé dans les délibérations de la BdC après que celle-ci eût laissé son taux inchangé. C’est ce qui ressort du Rapport sur la politique monétaire de janvier 2016, qui mentionne un risque que le degré de transmission soit plus élevé que prévu à la lumière des données historiques.

La dépréciation du dollar canadien contribue déjà à la hausse des prix à l’importation

L’histoire se répète-t-elle?

Tous les enseignements de 2016 ne vaudront pas pour 2024, car la BdC n’est pas actuellement confrontée à un choc des termes de l’échange, et les prix de l’énergie ne compenseront pas de la même manière les importations de biens si le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien continue de grimper jusqu’en 2025. La BdC pourrait donc être plus réticente à écarter sensiblement son taux de celui de la Fed, en particulier après trois années d’inflation supérieure à la cible et tant que les attentes en matière d’inflation ne seront pas totalement revenues à la normale. Enfin, il est à noter que le rythme auquel évolue le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien compte tout autant que le niveau. Une potentielle hausse au-delà de 1,40 sera moins préoccupante pour la BdC si elle se produit graduellement.

Dans l’ensemble, nous estimons que le taux de change entre le dollar américain et le dollar canadien devrait atteindre un niveau élevé pour faire dérailler le cycle d’assouplissement de la BdC et nous pensons que cette dernière est en mesure de procéder à une baisse de 50 pdb, quelle que soit la trajectoire de taux de la Fed à court terme. Si la Fed maintient le statu quo plus longtemps que prévu, le passage sous la barre de 4,50 % dépendra de la sensibilité du taux de change entre le dollar américain et le dollar américain ainsi que de l’évolution de la situation économique à l’échelle nationale jusqu’en 2025.

Les clients qui s’abonnent peuvent lire le rapport complet, intitulé La résilience de l’économie américaine pourrait-elle faire dérailler la Banque du Canada en 2024? , sur le portail Une seule TD


Robert Both

Vice-président et stratège, Macroéconomie, Valeurs Mobilières TD

Robert Both


Vice-président et stratège, Macroéconomie, Valeurs Mobilières TD

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