Situation et perspectives pour la recherche et le développement dans le secteur biopharmaceutique avec John LaMattina
Invité : John LaMattina, ancien président de la recherche et du développement à l’échelle mondiale de Pfizer
Animation : Steve Scalia, directeur général, Soins de santé – Analyste de recherche des grandes sociétés pharmaceutiques, TD Cowen
La recherche dans le secteur des biotechnologies offre de nouvelles occasions de produits, mais les pressions du marché peuvent limiter les investissements. Écoutez ce que John LaMattina, expert du secteur, estime être favorable à la recherche et au développement dans le secteur biopharmaceutique.
Ce balado a été enregistré le 18 novembre 2024.
Locuteur 1 :
Bienvenue à Insights de TD Cowen. Ce balado réunit des penseurs de premier plan qui offrent leur éclairage et leurs réflexions sur ce qui façonne notre monde. Soyez des nôtres pour cette conversation avec les esprits les plus influents de nos secteurs mondiaux.
Steve Scala :
Bonjour, je m’appelle Steve Scala et je fais partie de l’équipe pharmaceutique de TD Cowen. J’ai le plaisir d’être en compagnie du Dr John LaMattina pour l’épisode d’aujourd’hui. Ancien premier vice-président et président de la recherche et du développement à l’échelle mondiale de Pfizer, le Dr LaMattina a supervisé les efforts de plus de 13 000 collègues aux États-Unis, en Europe et en Asie dans la découverte et le développement de médicaments. Chez Pfizer, le Dr LaMattina a dirigé la mise au point de traitements pour le cancer, l’abandon du tabac, l’arthrite rhumatoïde et le VIH. Auteur de nombreuses publications scientifiques, il détient des brevets aux États-Unis et a écrit trois livres, dont le plus récent intitulé « Pharma and Profits: Balancing Innovation, Medicine and Drug Prices », paru ces dernières années. Le Dr LaMattina est actuellement associé principal et membre du conseil d’administration de PureTech Health. Il siège également à plusieurs autres conseils d’administration.
John, merci beaucoup de votre présence. J’ai hâte d’engager la conversation sur un secteur très dynamique.
John LaMattina :
Oh, merci, Steve. Je suis heureux de reprendre notre conversation.
Steve Scala :
Tout le monde dans l’industrie biopharmaceutique, y compris les investisseurs et les universitaires, s’interroge sur l’avenir du secteur, c’est donc utile d’avoir invité quelqu’un d’aussi bien informé. Je voudrais d’abord vous demander comment se porte la R-D pharmaceutique, selon vous? Est-ce qu’on parle d’expansion, de recul ou de stabilité?
John LaMattina :
Tout dépend de l’entreprise. Des sociétés comme Novo Nordisk et Lilly sont en expansion. Elles profitent des agonistes du récepteur du GLP-I lancés récemment et d’autres médicaments du genre qui changent la donne. Par contre, une société comme Pfizer cherche actuellement à réduire ses coûts le plus possible. Paradoxalement, le succès des vaccins contre la COVID-19 et de Paxlovid n’aura duré que trois ou quatre ans après le lancement. Pfizer bat en retraite. Dans l’ensemble, je dirais que la situation est stable. Je m’en suis tenu aux grandes sociétés pharmaceutiques, mais c’est la même chose pour la biotechnologie. Le secteur mise sur l’investissement, qui a peu augmenté ces dernières années. Les choses pourraient changer à l’arrivée de la nouvelle administration. On verra.
Steve Scala :
Ce qui m’amène à ma prochaine question. Croyez-vous que le secteur de la biotechnologie est plus innovateur et plus créatif, et que ses avancées dépassent celles de l’industrie pharmaceutique? Et si oui, qu’est-ce qui explique la différence?
John LaMattina :
J’ai été employé chez Pfizer pendant 30 ans et je travaille en biotechnologie depuis 15 ans, mais je ne crois pas qu’il y ait une grande différence entre les deux secteurs sur le plan de l’innovation. Permettez-moi de faire quelques observations. Premièrement, les sociétés de biotechnologie sont de petite taille. En général, elles reposent sur une seule plateforme ou sur un ou deux composés. D’après ce que j’en sais, le taux de réussite des sociétés biopharmaceutiques n’est pas bien supérieur, le cas échéant, à celui des géants pharmaceutiques. Les deux comptent sur des gens très créatifs et d’excellents scientifiques. Mais la R-D dans les deux secteurs est sans pitié et les taux d’échec sont les mêmes. À ce propos, je voudrais soulever un autre point. Les gens ne se rendent pas compte que, dans les années 1980 et 1990, la moitié des revenus des géants pharmaceutiques provenait de composés sous licence.
C’est encore le cas aujourd’hui. Et on se plaint que les sociétés pharmaceutiques multiplient les acquisitions. Oui, mais il en a toujours été ainsi. Dans les années 1990, on obtenait une licence sur les composés d’une entreprise du Japon ou de petites sociétés européennes. C’est ce qu’on fait maintenant avec les sociétés de biotechnologie. Il existe un important écosystème, une interdépendance, entre les sociétés biotechnologiques et les géants pharmaceutiques. Les sociétés biotechnologiques obtiennent du financement des géants pharmaceutiques, qui ont accès à des produits potentiels; on se renvoie l’ascenseur. Mais je dirais qu’environ la moitié des médicaments des géants pharmaceutiques sont mis au point à l’interne; ils comblent leurs lacunes à l’externe.
Steve Scala :
Je vois. Vous avez déjà répondu en partie à cette question, mais laissez-moi quand même vous la poser. Certains croient que la R-D pharmaceutique est vouée à une lente perte de vitesse en raison des pressions exercées à l’échelle mondiale sur les prix des médicaments, notamment en vertu de l’Iinflation Reduction Act (IRA) aux États-Unis.
John LaMattina :
C’est un point très important. Le contexte évolue de façon spectaculaire, et j’aimerais soulever deux points au sujet de l’IRA en particulier. Tout d’abord, on entend dire qu’une baisse des revenus des sociétés pharmaceutiques n’affecterait pas la R-D. En réalité, elles y consacrent normalement 25 % de leur chiffre d’affaires. Selon les partisans de l’IRA, cette loi va réduire les dépenses du programme Medicaid de dizaines de milliards de dollars. Mais évidemment que la R-D va s’en ressentir. Les sociétés de R-D vont rapetisser. Les programmes seront moins nombreux.
Je comprends que le public américain, en particulier, souhaite un contrôle des prix des médicaments. Il faut le reconnaître. Mais la R-D va en souffrir. Voilà tout. À ce propos, un autre point m’inquiète. L’IRA est mal ficelée quant à l’amorce des soumissions pour établir le prix des médicaments. Dans le cas des médicaments à petite molécule, les soumissions démarrent après neuf ans; tout ce temps, le médicament est déjà sur le marché. Le gouvernement peut ensuite fixer les prix. À noter que pour les médicaments à grosse molécule on impose un délai d’expiration de 13 ans.
Je pense qu’on régresse. Souvent, les médicaments à petite molécule sont plus faciles à administrer et coûtent bien moins cher. Il y a lieu de les préférer aux médicaments à grosse molécule, qui sont généralement administrés dans les cliniques, les cabinets de médecin, etc., qui ont une durée de brevet plus longue et qui sont moins vulnérables à l’érosion des prix exercée par les médicaments génériques ou biosimilaires. L’inconvénient est double. Ce que vos auditeurs doivent savoir, c’est que les sociétés délaissent les programmes axés sur les petites molécules ou tentent à tout le moins de trouver un nouvel équilibre.
Leurs programmes peuvent porter pour moitié sur de petites molécules et le reste sur de grosses molécules, ou même s’intéresser à des molécules encore plus petites. Beaucoup de sociétés font valoir qu’il en coûte autant de développer une grosse qu’une petite molécule Si la durée du brevet d’une grosse molécule est plus longue, est-ce qu’il ne faudrait pas rééquilibrer nos portefeuilles et prévoir plus de programmes axés sur les grosses molécules que sur les petites? On obtient de meilleurs prix, qui sont moins contrôlés et moins exposés à l’érosion exercée par les produits génériques. On voit aussi un peu de ça.
Je profite de cette tribune, Steve, pour ajouter un dernier point : tout le génie des mécanismes de contrôle des prix aux États-Unis repose sur le système de brevets. Dès que le brevet d’un médicament expire, ses ventes chutent, surtout dans le cas des médicaments à petite molécule, ce qui est moins vrai pour les produits biosimilaires. Mais les choses s’améliorent. À l’expiration du brevet de Lipitor, j’étais en poste chez Pfizer; les ventes de ce médicament ont chuté de 95 % en 12 mois. Ça donne le vertige. La version générique de Lipitor, l’atorvastatine, est le troisième médicament le plus prescrit aux États-Unis, je crois. On peut se le procurer pour quelques cents par jour, rien que ça.
C’est incroyable quand on y pense. Je voudrais faire la comparaison avec un remplacement de la hanche. Je suis un baby-boomer et, à mon âge, j’ai beaucoup d’amis qui subissent cette chirurgie ces temps-ci. Le coût d’un remplacement de la hanche ne diminue jamais. Il n’existe pas de version générique pour un remplacement de la hanche. Le coût de l’intervention augmente de 5 % à 10 % par année. Pour réduire les coûts de santé, il vaudrait mieux cibler ce genre de traitement que les médicaments, qui font économiser beaucoup d’argent au système de santé et profitent à tout le monde. Bon, j’ai assez parlé.
Steve Scala :
Si l’IRA avait été adoptée il y a 20 ans, lorsque vous occupiez un poste de direction chez Pfizer, y a-t-il des médicaments qui ne seraient pas offerts aux patients aujourd’hui parce que Pfizer aurait renoncé à les mettre au point en raison des réalités économiques imposées par l’IRA?
John LaMattina :
Il y a 20 ans, le contexte était différent; la R-D sur les anticorps biologiques à grosse molécule amorçait une expansion qui allait s’accélérer. La différence serait un portefeuille plus petit, à mon avis. Il y aurait moins de monde en recherche, et on ne pourrait pas faire autant de choses. On écarterait certains champs thérapeutiques moins prometteurs sur le plan commercial ou plus spéculatifs. On n’aurait peut-être rien fait pour la maladie d’Alzheimer, par exemple. Il y a 20 ans, il aurait peut-être fallu réduire la recherche en oncologie pour diverses raisons, notamment le manque de compréhension quant au prix qu’on pouvait obtenir pour les médicaments anticancéreux. Aujourd’hui, la moitié des activités de R-D de mon ancien employeur, je crois – du moins la moitié de sa filière de développement de médicaments – porte sur l’oncologie. C’est une différence majeure.
Steve Scala :
On a parlé des conséquences potentielles de l’IRA sur la R-D, mais qu’en est-il du défi lié aux médicaments ou aux cibles médicamenteuses ou biologiques qui nous échappent davantage? Croyez-vous que c’est un enjeu réel et que le secteur saura le surmonter?
John LaMattina :
Je ne crois pas que ce soit un enjeu. Dès qu’on a commencé à décoder le génome et mieux compris les problèmes biologiques d’origine génétique, on a pu élargir les cibles. Dernièrement, j’ai recommandé à quelqu’un un emploi en R-D biopharmaceutique parce que je crois que les perspectives dans le domaine du ciblage s’améliorent considérablement en ce moment.
La difficulté, c’est qu’on arrive à repérer un enzyme ou un récepteur susceptible de jouer un rôle dans une maladie, mais qu’on en est encore au stade des hypothèses. Il faut trouver un composé pour vérifier l’hypothèse, puis confirmer si le blocage de l’enzyme ou du récepteur améliore le traitement de la maladie. En fait, on sous-estime l’importance de l’industrie biopharmaceutique et pharmaceutique, qui doit prouver ou réfuter les hypothèses médicales. C’est bien beau de faire toute cette recherche fondamentale, mais tant qu’on n’a pas de molécule, grosse ou petite, et qu’on n’a pas validé l’hypothèse, on n’est pas plus avancé. Et c’est le rôle de l’industrie. On dirait que personne ne comprend ça. Ce n’est pas le mandat des National Institutes of Health, des universités ou des instituts de recherche. C’est le rôle de l’industrie biopharmaceutique, et c’est sa plus grande contribution à la société.
Steve Scala :
Si on prend un peu de recul, on constate que l’IRA exerce certaines pressions. Par contre, des technologies encore plus avancées peuvent exploiter ces cibles connues. Globalement, êtes-vous optimiste à l’égard de la R-D pharmaceutique? Avez-vous certaines réserves? Ou êtes-vous carrément pessimiste?
John LaMattina :
Je me situe entre les deux. Je pense que les occasions scientifiques sont importantes, mais que les pressions exercées sur les prix vont freiner l’investissement en R-D. Paradoxalement, à un moment de grande promesse scientifique, moins de chercheurs risquent d’arriver avec des réponses et des solutions aux maladies. C’est ce qui est dommage dans tout ça.
Steve Scala :
On est au courant de certains efforts déployés pour réduire les prix des médicaments, mais avez-vous d’autres idées sur ce qu’il faudrait faire à ce sujet ou sur la façon d’abaisser les prix sans brider la créativité et l’innovation de l’industrie?
John LaMattina :
J’aimerais présenter la question sous différents angles. Tout d’abord, vous auriez cru à un miracle si vous aviez appris il y a quatre ou cinq ans que l’industrie allait mettre au point plusieurs médicaments qui s’attaqueraient au diabète de type 2, qui favoriseraient une perte de poids de 10 % ou 15 %, qui diminueraient de beaucoup le nombre de cancers attribuables à l’obésité et qui pourraient jouer un rôle dans la dépendance, tout en réduisant l’arthrite associée à l’obésité, les crises cardiaques et les accidents vasculaires cérébraux, comme de plus en plus d’études le démontrent. Grâce à ces médicaments d’une valeur inestimable, le système de santé économiserait des milliards, voire des centaines de milliards de dollars.
Ces médicaments existent bel et bien : ce sont les agonistes du récepteur du GLP-1. Or, de quoi les gens se plaignent-ils? Des prix. Mais quel prix fixer pour un médicament qui change la société? Il faut trouver un équilibre entre la réduction des coûts de santé offerte par ces médicaments et la nécessité de réaliser des bénéfices suffisants pour intensifier la R-D et proposer les prochaines grandes percées. Malheureusement, tout le monde ne voit que le prix de ces médicaments.
Cela dit, si vous avez un bon régime d’assurance, vous ne payez pas tant que ça au pays pour ces médicaments. Je dirais quelques centaines de dollars par mois. Je me trompe peut-être, mais le montant n’est pas énorme. Par contre, sans assurance, le coût de ces médicaments augmente énormément. Et, bien entendu, c’est surtout le régime d’assurance maladie qui l’absorbe. Cela dit, ces médicaments offrent d’énormes avantages.
En ce qui concerne le prix des médicaments, certaines choses ont changé depuis cinq ou six ans. Premièrement, la plupart des sociétés qui proposent un nouveau traitement envoient la facture aux payeurs. Elles préviennent les compagnies d’assurance de l’arrivée dans les 12 à 18 prochains mois d’un nouveau médicament dont elles comptent fixer le prix à un niveau donné en invoquant certaines raisons. Elles demandent alors aux payeurs ce qu’ils en pensent. Et c’est une bonne stratégie de la part des sociétés pharmaceutiques; ça leur permet de susciter l’adhésion des payeurs. Dès le début, elles reçoivent de la rétroaction, ce qui les aide à lancer le médicament en évitant qu’on s’intéresse davantage à son prix qu’à son importance. Je pense que cette méthode va faire son chemin.
J’apporterais un seul changement. Malheureusement, l’exemple parfait lié à l’établissement des prix vient du médicament Humira fabriqué par AbbVie. L’entreprise a créé un enchevêtrement de brevets, ce qui n’a rien d’illégal et d’immoral en soi. Mais Humira a bénéficié de l’exclusivité bien trop longtemps, ce qui a aussi permis des hausses de prix chaque année. Je pense avoir déjà parlé du livre de Peter Kolchinsky intitulé « The Great American Drug Deal ». L’ouvrage explore le système de brevets et le contrat social passé avec le peuple américain. Une fois approuvé, un médicament peut être vendu pendant 12 ou 14 ans, selon la durée du brevet. Après quoi, il passe dans la catégorie des génériques. Et je pense que les lois devraient être modifiées pour éviter qu’un brevet soit prolongé jusqu’à 20 ou 22 ans, comme ç’a été le cas pour Humira.
Steve Scala :
Très bien. J’aimerais maintenant parler d’IA. Selon vous, quel rôle l’IA va-t-elle jouer en R-D pharmaceutique?
John LaMattina :
Le principal avantage de l’IA est de traiter d’énormes quantités de données pendant qu’on se concentre sur l’essentiel. Fait intéressant, l’une des sociétés avec lesquelles je travaille a fait appel à un expert de Los Angeles pour parler d’IA. À la fin de sa présentation, j’avais l’impression que l’IA pourrait être très utile pour l’élaboration d’essais cliniques, la sélection des patients, la collecte de renseignements, enfin, toutes sortes d’activités, qu’elles soient positives ou négatives. Mais, j’ai encore des doutes. L’IA est certainement utile à la phase de développement des médicaments. Mais, pour ce qui est de trouver de nouvelles cibles ou de mettre au point une nouvelle molécule en misant uniquement sur l’IA, je pense qu’il y a encore du chemin à faire. Mais le potentiel est là et les progrès dans les quatre ou cinq prochaines années pourraient être spectaculaires.
Steve Scala :
Et que pensez-vous de la Chine en tant que source d’innovation biomédicale?
John LaMattina :
C’est une question intéressante. La Chine est tellement fermée sur elle-même qu’il n’en sort pas grand-chose. Ironiquement, il y a peut-être huit ou dix ans, on était très inquiets de voir la Chine construire sur son sol des dizaines d’installations immenses de R-D. On craignait d’être largués. Mais, ça n’est pas encore arrivé. Là encore, les investissements affluent. On compte sur des gens de talent et, de toute évidence, les technologies sont accessibles. Pourtant, l’explosion qui pourrait m’inquiéter n’est pas encore survenue. Mais je le répète, dans cinq ans, le portrait pourrait être complètement différent.
Steve Scala :
J’aimerais maintenant aborder la question de la productivité en R-D. On a souvent tenté de mesurer et de comparer la productivité en R-D. Préférez-vous un certain étalon de mesure, et quelles sociétés se classent particulièrement bien de ce point de vue, selon vous?
John LaMattina :
Je n’utilise pas d’étalon de mesure à proprement parler, et je n’ai pas fait d’analyser depuis mon départ de Pfizer pour comparer notre productivité. J’ai toujours fait confiance aux chiffres. Je mise toujours sur la diversité du portefeuille en fonction des champs d’intérêt de l’entreprise, et j’essaie de trouver des molécules adaptées à différents domaines. Je ne suis pas du genre à mettre tous mes œufs dans le même panier. J’aime avoir des options. Je ne vais pas tout miser sur la même couleur; la diversité maximise les chances de succès. Et si on tombe sur quelque chose, il faut battre le fer pendant qu’il est chaud.
Je regarde toujours la filière de développement de médicaments. Étonnamment, on peut maintenant voir sur le site Web de n’importe quelle société toute sa filière de développement, de la phase 1 à la phase 3, et même le post-lancement, le renouvellement continu ou l’utilité élargie d’un composé, comme un inhibiteur de JAK3, prescrit à l’origine pour la polyarthrite rhumatoïde, puis pour toutes sortes de maladies de la peau et d’autres affections immunologiques.
On peut en tirer des conclusions sur ce qui se passe et sur le succès remporté. Je m’inquiétais si, parmi deux sociétés de taille semblable, l’une avait la moitié de la filière de développement de l’autre. On m’a toujours encouragé à miser sur une vaste filière de développement de phase 1 et à laisser la décantation s’opérer à la phase 2. Les composés devaient faciliter une prise de décision rapide au cours d’une étude de phase 2 pour déterminer si le médicament est efficace ou non. C’était important d’avoir des programmes de développement pour accélérer la prise de décision. Je pense toujours que c’est très important.
Et puis, il y a une différence importante entre les grandes et les petites sociétés pharmaceutiques. Un géant pharmaceutique qui connaît un échec passe rapidement à autre chose. Dans le cas d’une petite société de biotechnologie dont la filière de développement se limite à un ou deux composés, si l’un d’eux échoue ou soulève des doutes en phase 2, il n’y a pas de plan B. Souvent, elle va vouloir reprendre l’essai clinique sous un nouvel angle ou vérifier l’efficacité dans une autre indication. Mais, ça fonctionne rarement. C’est l’un des atouts des géants pharmaceutiques. Ils peuvent abandonner rapidement un projet sans craindre la faillite. Ils ont d’autres options. J’aime toujours avoir de nombreuses options dans la filière de développement.
Steve Scala :
Sur le même thème, quelle part du succès en R-D attribuez-vous à la chance?
John LaMattina :
La chance ne peut pas faire de tort, Steve. Mais laissez-moi réfléchir; j’ai peu d’exemples dans ma carrière. Lipitor est un peu un coup de chance. Warner-Lambert a failli mettre fin à ce programme. C’est une belle histoire. Un chercheur passionné, Roger Newton, biologiste du programme de recherche sur les statines chez Warner-Lambert, avait foi dans ce composé. L’étape préclinique n’avait rien révélé, mais il soupçonnait que le composé pourrait être supérieur aux statines existantes à ce moment-là. Warner-Lambert avait convoqué une réunion pour mettre fin au programme. L’histoire raconte que Roger a supplié les responsables de poursuivre le programme parce qu’il pensait tenir quelque chose. Mais il n’avait aucune preuve à présenter. Les études de phase 1 allaient révéler que le composé était globalement deux fois plus efficace que les statines existantes.
Ça prenait un peu de chance. Je pense que la direction avait décidé à l’époque de mener au moins des études de phase 1, histoire de donner à Roger un os à ronger, et qu’elle passerait ensuite à autre chose. La société avait sous la main le médicament le plus vendu de tous les temps à cette époque. Parfois, il faut un peu de chance; on décide de persévérer, puis quelque chose se produit. Des choses du genre arrivent. C’est fantastique. Pour en revenir aux agonistes du récepteur du GLP-1. Je pense que personne n’avait envisagé que ces médicaments développés au départ pour le diabète auraient un effet biologique aussi important sur autant de paramètres et auraient favorisé une telle perte de poids. Ce n’était pas prévu, alors c’est un peu un coup de chance.
Mais on les a mis au point. De fait, les agonistes du récepteur du GLP-1 traitent le diabète de type 2 et abaissent la glycémie. Et leurs effets intestinaux sont spectaculaires. Oui, il faut des molécules à tester et des essais cliniques pour les justifier. Mais j’espère toujours avoir de la chance. Il ne faut jamais l’écarter.
Steve Scala :
Revenons un instant aux portefeuilles. Un portefeuille qui est réparti au sein d’une catégorie thérapeutique et qui fait appel à différentes modalités diversifie le risque, mais est aussi plus complexe. Quel est selon vous l’équilibre parfait entre la diversité et la complexité? Où est le point d’équilibre?
John LaMattina :
L’entreprise va cibler pour vous certains domaines thérapeutiques. Après tout, c’est elle qui vous finance. Mais dans ces domaines thérapeutiques, il faut trouver un équilibre entre le connu et l’inconnu. Par exemple, si le portefeuille se limite à l’inconnu, on se dit qu’on fait des choses que personne d’autre ne tente, etc. C’est vrai, mais le risque d’échec est élevé. Il faut aussi miser sur le connu, sur des médicaments qui traitent déjà certaines maladies. PureTech offre un bon exemple. Une société appelée Karuna a été très futée. Au début, PureTech voulait mettre au point des médicaments pour la schizophrénie, un domaine où la dernière nouveauté datait de 25 ans. Les traitements du moment n’étaient pas efficaces pour tous les patients. Il y avait une occasion à saisir.
Les chercheurs de PureTech se sont rappelé qu’Eli Lilly avait mené un programme sur les récepteurs muscariniques quelques années plus tôt. Le médicament fonctionnait assez bien en clinique pour la schizophrénie, mais malheureusement, présentait trop d’effets secondaires associés au mécanisme muscarinique. Ils ont alors eu l’idée de mettre au point un composé qui combinait une action antimuscarinique périphérique. On n’a rien inventé; il existait déjà un antimuscarinique périphérique établi qu’on pouvait combiner au composé de Lilly pour tenter d’en obtenir les avantages sans les effets secondaires. On est donc parti du connu, en adoptant une approche créative et novatrice, pour déboucher sur quelque chose de complètement nouveau qui fonctionnait.
Si bien que le composé a donné naissance à une société distincte appelée Karuna. La FDA a approuvé le médicament l’été dernier, et je crois que Bristol Myers a acheté la société pour environ 12 milliards de dollars. On n’avait donc pas affaire à un nouveau mécanisme d’action. Il était déjà connu dans la schizophrénie; on n’a pas eu à mener d’études génétiques pour arriver à une découverte. Néanmoins, on a mis au point un composé innovant qui fonctionnait bien. C’est le genre d’équilibre qu’il faut viser entre sortir des sentiers battus avec un potentiel de succès, mais sans s’aventurer complètement en terrain inconnu. Il faut équilibrer le portefeuille. Voulez-vous atteindre une répartition 60/40 d’une façon ou d’une autre? La décision vous appartient; mais j’ai toujours visé l’équilibre.
Steve Scala :
Autre sujet. Que pensez-vous des fusions et acquisitions à grande échelle? Est-ce favorable ou défavorable à la R-D?
John LaMattina :
Pour avoir participé à l’acquisition par Pfizer de Warner-Lambert, puis de Pharmacia-Upjohn et avoir ensuite quitté Pfizer avant l’acquisition de Wyeth, je dirais que les grandes fusions sont à tout le moins difficiles. J’ai rédigé dans Nature Medicine vers 2009 l’un des articles les plus cités, « The Impact of Mergers on Pharmaceutical R&D ». De fait, les conséquences sur la R-D sont énormes. Je dirais que la société a pris environ une année de retard en R-D. On a fusionné les portefeuilles, et la société a acheté Warner-Lambert Parke-Davis pas seulement pour Lipitor, mais aussi tous les autres produits du portefeuille.
Du coup, on a aussi mis la main sur ses travaux de recherche axée sur la découverte. Pfizer avait déjà son portefeuille et son équipe de découverte. Il fallait maintenant fusionner les portefeuilles et voir ce qu’on allait conserver ou non. L’exercice était le même pour le portefeuille de développement et les composés en phase 1, 2 ou même 3. Les opinions pouvaient diverger entre nos partenaires commerciaux et les leurs sur la stratégie de développement des composés, le type d’indications ou les populations de patients. Par ailleurs, la fusion des organismes de recherche amène à supprimer les postes en double. Le couperet tombe. Et voilà qu’on parle de synergies, un mot que je déteste. Lorsqu’une société procède à une fusion, elle compte accroître ses ventes. Les synergies doivent réduire le double emploi. On n’a plus besoin de deux groupes en génétique moléculaire ou en métabolisme des médicaments. Tout ce travail prend environ un an.
En passant, Steve, ce ménage fait des gagnants et des perdants. On cherche à bâtir une organisation de confiance, mais plus d’employés de Pfizer que de la société acquise vont sans doute conserver leur poste. Ça peut vous paraître idiot ou injuste, mais c’est comme ça que ça fonctionne. En général, l’acheteur entretient certaines préférences. Tout ça est difficile. On a réalisé une première fusion en 2000, une deuxième quatre ans plus tard, et on a encore récidivé quatre ou cinq ans après.
Ce genre d’opération est très difficile pour une entreprise. C’est l’une de mes plus grandes déceptions. Maintenant, on entend parler de petites acquisitions qui viennent compléter l’expertise en place. Je serais plus en faveur de ça pour étoffer l’entreprise et lui ajouter un complément. Il ne s’agit pas de rebâtir les RH, par exemple, mais de greffer un élément à l’organisation initiale, ce qui ne représente probablement pas plus de 5 % ou 10 %. Personnellement, pour avoir connu le pire, ça me semble une meilleure façon de procéder.
Steve Scala :
Avant de clore le chapitre sur les fusions et acquisitions, j’aimerais parler de Seagen. C’est une décision audacieuse de Pfizer de procéder à cette acquisition importante pour accéder à une technologie stratégique. Même si vous ne travaillez plus pour Pfizer, que pensez-vous de l’acquisition de Seagen?
John LaMattina :
Oui, j’ai quitté Pfizer il y a environ 15 ans. Ce que je sais de Seagen provient de la presse professionnelle, etc. Comme je l’ai dit plus tôt, Pfizer mise gros sur l’oncologie. Ce volet important de son portefeuille connaît beaucoup de succès. Tant mieux. La société devait combler une importante lacune technologique en ajoutant à son portefeuille les anticorps monoclonaux conjugués de Seagen. Pfizer a pris une partie des bénéfices réalisés, je crois, sur les vaccines pour investir dans Seagen. Je ne saurais dire s’ils ont payé trop cher ou pas assez. En général, on entend dire qu’ils ont payé trop cher. Je ne crois pas que les avantages de Seagen vont se faire sentir avant quelques années, le temps que toutes ces molécules franchissent la phase 3. L’acquisition vient certainement étoffer le portefeuille de Pfizer et multiplier les occasions de traiter différents types de cancers. Mais, il va falloir attendre la suite des choses.
Je ne veux pas être critique envers les gens brillants qui ont fait cet énorme pari; on verra ce qui va arriver. Mais, de toute évidence, la société a acquis beaucoup de notoriété, notamment auprès des actionnaires activistes, ce qui n’est pas nécessairement souhaitable.
Steve Scala :
À l’échelle de l’industrie, quels sont les secteurs les plus prometteurs de la découverte de médicaments, et y a-t-il dans ces domaines des candidats potentiels qui retiennent votre attention?
John LaMattina :
Tout d’abord, je dirais que les agonistes du récepteur du GLP-1 vont marquer la prochaine décennie. Les composés actuels sont excellents, mais demeurent imparfaits. Il va falloir mettre au point une forme orale. Et les occasions ne manquent pas, compte tenu du besoin énorme.
Ce qui est intéressant, c’est la renaissance des neurosciences. Quand j’ai quitté Pfizer, malgré le succès de Geodon dans la schizophrénie et de Zoloft dans la dépression et d’autres maladies comme la fibromyalgie, une douleur d’origine neuropathique, l’entreprise a décidé de se retirer des neurosciences parce que les patients étaient bien servis en 2008 ou 2010 par les médicaments existants, tous des génériques très sûrs. Et on a appris, comme je viens de l’évoquer avec la schizophrénie, que beaucoup de patients sont bien servis, mais pas tous, loin de là. Soit dit en passant, le développement d’un traitement de troisième intention peut rapporter gros. En effet, dans la schizophrénie, par exemple, les coûts liés aux soins ambulatoires et de santé sont énormes. La qualité de vie est déplorable tant pour les patients que la famille.
Je pense qu’on assiste à une renaissance des neurosciences parce qu’on peut obtenir des prix raisonnables pour les médicaments de troisième intention. Le jeu en vaut la chandelle. Aussi, les essais cliniques sont réalisables et sont sans doute encore meilleurs qu’avant. Et bien sûr, quand on parle du cerveau, on parle de la maladie d’Alzheimer. Et c’est là que se joue l’avenir. Les médicaments actuels sont efficaces, sans plus. Ils ne guérissent pas la maladie. Ils repoussent l’échéance un certain temps. Toute la recherche sur le cerveau est appelée à devenir, faut-il espérer, un champ exploratoire d’envergure.
Steve Scala :
J’aimerais terminer la conversation en vous posant quelques questions sur Pfizer. Comment compareriez-vous la R-D de Pfizer et l’entreprise en général par rapport à la concurrence?
John LaMattina :
Oh, là, là. Là encore, je ne suis pas assez près de l’entreprise pour parler ce qu’elle fait ou non. Je pense qu’elle possède une filière de développement de médicaments assez solide. Malheureusement, le grand public et nombre de vos auditeurs ne sont peut-être pas d’accord. C’est une bonne entreprise. Scott a dit que des changements s’y préparaient. Mikael Dolsten est le doyen des chefs de la R-D dans l’industrie, un exploit qui en dit long sur le travail qu’il a accompli. Mikael s’apprête à passer le flambeau. Ce sera intéressant de voir qui va être choisi pour le remplacer et où on va dénicher le candidat.
C’est une bonne entreprise qui emploie d’excellents chercheurs, Steve. Mais je peux dire la même chose de bien d’autres entreprises. Ceux qui ont sauvé le monde grâce aux vaccins et à Paxlovid appartiennent à une excellente organisation. En fait, on ne se rend pas compte, mais Pfizer a fermé ses laboratoires de Cambridge, au Massachusetts, pendant seulement deux semaines. Puis, on a repris les quarts de travail. On avait installé des cloisons en plastique dans les laboratoires pour éviter toute exposition, et on a travaillé à mettre au point Paxlovid en un temps record. Ce médicament demeure important pour les personnes qui contractent encore la COVID-19.
Mais tout ce travail de développement a pris de 18 à 24 mois. Et je ne pense pas qu’on leur en ait accordé le mérite. Oui, les ventes ont alors bondi, mais on subit maintenant des compressions, malheureusement. Toutes ces sociétés : Lilly, Merck, Pfizer, GSK et Novartis, sont excellentes. On a de la chance de les avoir; elles comptent sur des chercheurs de talent. L’industrie pharmaceutique suit des cycles. Le cycle actuel favorise Lilly et Novo Nordisk. C’était Pfizer il y a quelques années. Merck a connu le sien avec Keytruda et d’autres produits. Tout se déroule selon un cycle et, heureusement, il y a plus de hauts que de bas.
Steve Scala :
Très bien. Voilà une excellente façon de conclure la conversation. C’était captivant, John. On apprécie cette chance d’avoir profité de votre temps et de votre éclairage. On va suivre avec intérêt la progression de ce secteur fascinant. Encore une fois, merci.
John LaMattina :
Merci de m’avoir invité. La rencontre était très agréable.
Locuteur 1 :
Merci d’avoir été des nôtres. Ne manquez pas le prochain épisode du balado Insights de TD Cowen.
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Directeur général, Soins de santé – Analyste de recherche des grandes sociétés pharmaceutiques, TD Cowen
Steve Scala, RPh, CFA
Directeur général, Soins de santé – Analyste de recherche des grandes sociétés pharmaceutiques, TD Cowen
Steve Scala, RPh, CFA
Directeur général, Soins de santé – Analyste de recherche des grandes sociétés pharmaceutiques, TD Cowen
Steve Scala est un analyste de recherche principal qui compte plus de 30 ans d’expérience dans le secteur pharmaceutique, y compris dans des sociétés à grande, moyenne et petite capitalisation. Avant de se joindre à TD Cowen, M. Scala était pharmacien au Tufts Medical Center à Boston. Il est titulaire d’un baccalauréat ès sciences en pharmacie de l’Université du Connecticut, d’une maîtrise en pharmacie de l’Université Ohio State et d’une maîtrise en administration des affaires du Bentley College. Il détient le titre de CFA.