Invités : Frank McKenna, président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Animateur : Peter Haynes, directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
L’épisode 46 couvre beaucoup de régions. Commençons par les récentes victoires des dirigeants de droite en Argentine et aux Pays-Bas : selon Frank, elles s’inscrivent dans un mouvement de balancier qui s’oppose aux dirigeants de centre gauche en place et qui est amplifié par un discours populiste qui rappelle celui de Trump. Nous passons ensuite un certain temps au Canada, d’abord pour discuter de sa position précaire quant aux objectifs de dépenses de défense de l’OTAN, puis pour parler de l’Énoncé économique de l’automne du Parti libéral, dont l’objectif de déficits « modestes » sera remis en question. Nous terminons la discussion sur le budget Un plan canadien avec d’autres griefs de l’Alberta, cette fois en ce qui concerne la légalité des objectifs fédéraux de carboneutralité pour le réseau électrique canadien. Frank fait ensuite le point sur le dégel des relations entre l’Inde et le Canada ainsi que sur la guerre entre Israël et le Hamas, puis conclut sur une note positive en soulignant l’amélioration des relations entre les États-Unis et la Chine.
Ce balado a été enregistré le 27 Novembre, 2023.
PETER HAYNES : Bienvenue à l’épisode 46 de Géopolitique, en compagnie de l’honorable Frank McKenna. Je m’appelle Peter Haynes, de Valeurs Mobilières TD. J’ai le plaisir d’animer cette série de balados mensuels dans laquelle je pose à Frank McKenna des questions sur les enjeux géopolitiques dans le monde. C’est un peu comme une partie de ping-pong.
Encore une fois, j’ai hâte, Frank. J’espère que vous allez bien. Êtes-vous actuellement à Toronto ou dans l’est?
FRANK MCKENNA : Je suis à Toronto en ce moment. En fait, j’essaie de savoir comment je vais gérer la tempête de neige qui s’annonce, parce que je suis censé partir droit dans la direction de la neige qui arrive.
PETER HAYNES : Eh bien, c’est toujours un défi, surtout si vous vous retrouvez bloqué quelque part et que vous ne pouvez pas rentrer chez vous. J’espère que votre trajet se passera bien.
Riley, qui est notre experte en multimédia et qui nous aide à nous assurer que tous ces balados se déroulent bien, est avec moi aujourd’hui. Riley et moi étions en voyage à Orlando il y a quelques semaines, dans une succursale hors site de Valeurs Mobilières TD. Je sais que vous n’avez pas pu venir pour des raisons d’agenda.
Lorsque nous étions là-bas, j’étais évidemment au bar en train de prendre un verre, lorsqu’un homme est venu se présenter et m’a dit : « J’aime vraiment les balados géopolitiques de Frank McKenna que vous animez. » Il se trouve que cette personne travaille à notre bureau de Singapour, alors, vous voyez, Frank, que nous avons un auditoire dans le monde entier, pour le meilleur ou pour le pire.
En parlant du monde entier, au cours des derniers épisodes, nous nous sommes focalisés sur Washington, plus récemment sur Israël et, bien sûr, sur la guerre entre la Russie et l’Ukraine. Mais il y a d’autres points névralgiques et tendances géopolitiques qui méritent d’être abordés.
L’une de ces tendances que je suis de près, comme vous le faites aussi sûrement, c’est la montée préoccupante des dirigeants politiques d’extrême droite qui remportent de plus en plus d’élections nationales. On a vu récemment en Argentine Javier Milei, une personnalité bien connue dans le pays pour ses opinions assez radicales.
Je suppose qu’il va présenter sous peu au parlement ou au cabinet son « plan de choc », pour reprendre son expression. Plus récemment, aux Pays-Bas, on a eu Geert Wilders, le chef du Parti pour la liberté, qui est un parti d’extrême droite. Que pensez-vous des résultats de ces élections?
FRANK MCKENNA : Eh bien, presque tout en politique est une réaction, presque comme une loi fondamentale de la physique. On observe souvent un mouvement de balancier intense, habituellement en raison d’événements qui ont déclenché une certaine antipathie de la part de l’électorat.
Il faut commencer par dire que l’Argentine est dans une situation difficile depuis très longtemps. Au début du siècle, l’Argentine était l’un des dix pays les plus riches au monde, à divers moments, on l’a considérée comme le pays à surveiller.
Mais rien de tout ça ne s’est passé comme prévu. C’est même le contraire qui s’est produit. Maintenant, l’Argentine n’est même plus considérée comme un pays développé. C’est un pays en développement, qui connaît une crise économique chronique. Et l’Argentine traverse justement une crise économique en ce moment. Je pense que c’est ce qui a amené le peuple à retenir sa respiration et à voter pour Javier Milei.
Alors, quelles sont ces choses qu’il a dit qu’il allait faire? Tout d’abord, la dollarisation de l’économie. Deuxièmement… il a parlé de faire beaucoup de choses. J’allais parler de choses aberrantes, mais ça dépend de la façon dont vous les percevez. Il a parlé de supprimer la banque centrale argentine.
Je vais commencer par la première, parce que dans tous les mouvements de balancier, vient un moment où le balancier revient vers l’arrière. Pour ce qui est de remplacer le peso par le dollar américain, je suis allé en Argentine récemment et je peux comprendre ce que les gens pensent de l’inflation. J’ai découvert que dans la rue, je pouvais obtenir trois prix différents pour le peso. Avec des dollars américains, vous pouvez faire à peu près n’importe quoi.
Mais pour commencer, il faut un congrès. Il faudrait modifier la Constitution, et le parti de Milei n’a qu’un tiers des sièges au congrès, donc d’énormes concessions et négociations devraient s’engager. Deuxièmement, ça revient à placer l’économie entre les mains de la Réserve fédérale américaine, ce qui signifie que si la Réserve fédérale américaine est exposée à un choc pétrolier ou à un autre choc, ça se répercuterait jusqu’en Argentine, sans aucun contrôle. Et les gens devront se poser la question de savoir s’ils sont à l’aise avec ça.
Troisièmement, pour ce faire, il faut avoir beaucoup de dollars américains. On a estimé qu’il faudrait entre 35 et 50 milliards de dollars américains. L’Argentine n’a tout simplement pas cet argent pour le moment. Alors, on verra. Ça prendra des années et on verra à quel point il sera prêt à mettre de l’eau dans son vin.
Il y a d’autres domaines pour lesquels son point de vue est radical. C’est un climatosceptique. Il pense que les changements climatiques se produisent, mais qu’ils ne sont pas causés par les activités humaines, il est donc très sceptique là-dessus.
Il s’en est pris au Pape. Ce qui est plutôt radical en Argentine, parce que le Pape est Argentin. Mais il a déjà levé le pied là-dessus. Il a accusé le Pape d’être communiste, mais il lui a parlé il y a à peine 24 heures et l’a invité à venir en Argentine en 2024.
Il a dit qu’il gèlerait toutes les relations économiques avec la Chine et le Brésil, qui sont deux des principaux acheteurs des exportations argentines. Il a depuis fait marche arrière et dit qu’il maintiendrait des relations commerciales avec ces deux gouvernements.
Il a aussi dit qu’il éliminerait complètement les lois sur les armes à feu et qu’il criminaliserait l’avortement. Donc des idées radicales, pour lesquelles on observe d’ores et déjà un certain recul. C’est intéressant qu’il soit à Washington cette semaine, qu’il rencontre le FMI et le Trésor américain pour parler de certaines de ses idées.
Alors, des solutions radicales pour un pays qui éprouve beaucoup de difficultés, on verra ce qu’il en résulte. Dans le cas des Pays-Bas, la situation est un peu comparable. Mais la raison en est différente, dans ce cas. Je pense que c’est une réaction très vive à l’immigration. Geert Wilders, un politicien de longue date aux Pays-Bas, a finalement réussi à devenir le candidat principal pour former le prochain gouvernement.
Très anti-immigration, très antimusulman, de manière quasi virulente, c’est un euro sceptique qui parle d’organiser un référendum sur l’Europe appelé Nexit. Il est aussi anti-Ukraine et pro-Poutine. Lui aussi est climatosceptique. Il veut continuer à produire du charbon et du pétrole et commencer à fermer les centrales solaires et éoliennes.
Toutes ces idées viennent de l’extrême droite. Mais encore une fois, il n’est pas majoritaire aux Pays-Bas. Il devrait pour ça former une coalition. L’ensemble des partenaires de la coalition seraient beaucoup plus modérés que lui. Dans le cas des Pays-Bas, vous verrez donc également beaucoup d’eau dans leur vin.
Encore une fois, dans chaque cas, il s’agit d’une réaction à une situation. En Suède aussi, on observe une réaction à l’immigration. On observe aussi des mouvements de droite en Italie, où Meloni est plus à droite et était plutôt pro-Poutine, mais encore une fois, elle est devenue pro-Ukraine au moment de former le gouvernement.
Et puis on observe la montée des partis et des forces de droite en Allemagne et en France. C’est le mouvement de balancier. Normalement, il y a une certaine modération et des points de vue extrêmes. Mais la plupart des dirigeants dont on a parlé se sont inspirés de Trump et c’est un peu dans cette direction que le monde se dirige en ce moment.
PETER HAYNES : Vous avez mentionné l’une des positions de Wilders à l’égard de l’Ukraine, à savoir de retirer à l’Ukraine le soutien des Pays-Bas. L’attention du monde entier s’étant tournée vers la bande de Gaza au cours des derniers mois, il semble que la guerre entre la Russie et l’Ukraine soit devenue la guerre oubliée.
Je me demande, Frank, si vous craignez qu’une atrophie à l’égard de cette guerre menace le soutien du monde occidental à l’Ukraine, alors que des dirigeants comme Wilders, Orbán et d’autres dans l’Union européenne affirment que si Donald Trump est élu, il n’y aura plus que l’Union européenne pour continuer à soutenir l’Ukraine? Est-ce que la diminution de la défense de l’Ukraine par le monde occidental vous préoccupe?
FRANK MCKENNA : Oui, c’est le cas. Je pense que la fatigue s’installe en Ukraine, on le constate même en Amérique du Nord, aux États-Unis. Même si l’Ukraine est largement soutenue par le parti démocrate, le parti républicain est divisé sur cette question, les républicains au Sénat ayant une majorité en faveur de l’aide à l’Ukraine, mais une grande partie [INAUDIBLE] s’y oppose. Et au Congrès, au sein du parti républicain, l’opinion dominante semble être opposée au soutien à l’Ukraine.
Ils finiront par faire un compromis. Le dossier dont ils sont saisis est important et je suppose qu’il y aura une certaine modération. Mais il ne fait aucun doute que le soutien aux États-Unis est maintenant fragmenté sur le plan politique et que l’opinion publique commence à voir d’un mauvais œil toute aide supplémentaire.
Bien entendu, l’attention portée au conflit au Moyen-Orient est aussi une distraction par rapport à l’Ukraine. Le parti républicain appuie pleinement l’augmentation de l’aide à Israël, tandis que le parti démocrate est quelque peu divisé sur ce point, même si je pense que le Président a toujours été un ardent défenseur d’Israël.
Mais c’est un peu la même chose au Canada, où la diaspora ukrainienne représente près de 1,3 million d’Ukrainiens et où le soutien à l’Ukraine était presque total. Mais lors d’un vote récent à la Chambre des communes, le Parti conservateur a voté massivement contre un accord de libre-échange avec l’Ukraine. Leur argument était qu’il comportait un encouragement de la taxe carbone, ce à quoi ils s’opposent.
Mais le Globe and Mail et d’autres journalistes l’ont présenté comme un prétexte. Ça ressemblait vraiment à un bout de viande jeté au peuple. C’est aussi une situation inquiétante.
Pour répondre à votre question, je suis préoccupé parce que le problème principal ne disparaît pas, à savoir les objectifs expansionnistes de la Russie. Si la Russie peut marcher sur l’Ukraine, un certain nombre d’autres pays sur son chemin sont en droit de s’inquiéter. Je pense qu’il s’agit d’une tendance inquiétante et j’espère qu’elle n’entraînera pas une diminution de l’aide dont l’Ukraine a cruellement besoin.
PETER HAYNES : C’était, je crois, l’un des dirigeants militaires de l’Ukraine qui a parlé de l’état actuel de la guerre comme d’une impasse. C’est préoccupant, car on se demande comment il sera possible d’en sortir.
Si l’impasse se termine par Donald Trump prenant la tête des États-Unis, mettant fin au soutien des États-Unis et laissant l’Union européenne seule, puis que celle-ci se fracture, alors l’Ukraine sera livrée à elle-même. Ce résultat ne serait pas favorable en ce qui concerne la Russie qui, comme vous l’avez dit, n’aura plus qu’à marcher sur le reste de l’Ukraine.
Si l’on devait donner des probabilités, Frank, quelles sont selon vous les probabilités que ce scénario se réalise?
FRANK MCKENNA : Eh bien, il est certain que si Trump est élu président dans un an, ça favorisera grandement la Russie. En fait, je pense que c’est ce sur quoi ils comptent. Mais entre-temps, ça sacrifie aussi beaucoup de ressources russes. Ce n’est pas seulement une perte d’argent, c’est aussi une perte de vies humaines, et la Russie a également perdu beaucoup de son prestige dans le monde.
Après un certain temps, les gens se lassent de cet appauvrissement et de vivre dans une économie en déclin en raison des ambitions de leur chef, qu’ils ne comprennent pas forcément. En revanche, l’Ukraine, elle, se bat pour sa survie. Ils ont déjà vécu un génocide par le passé et ils ne sont pas prêts… Ils vont se battre. Chaque homme et chaque femme va se battre jusqu’au dernier.
Je pense que les deux camps continueront de se battre. La motivation est différente de chaque côté. En fin de compte, le problème sera résolu. Les guerres, comme les grèves, se résolvent toujours lorsque les deux camps ont payé un prix suffisamment élevé. Il ne serait pas surprenant qu’une sorte de conflit gelé en résulte, les lignes n’évoluant peut-être pas beaucoup.
Mais entre-temps, il faut traverser un hiver et il ne fait aucun doute que ce sera un hiver douloureux pour l’Ukraine. Mais ce sera aussi un hiver douloureux pour la Russie, car les Ukrainiens ont maintenant des armes qui frappent le cœur de la Crimée et peuvent aller jusqu’à Moscou. Et je ne pense pas que les Russes vont se mettre en position défensive.
À un moment donné, il y aura aussi des pressions sur Poutine pour trouver une solution, mais il est difficile de savoir quelle sera cette solution. On sait juste avec certitude qu’il faudra que cette solution implique une certaine forme d’intégrité territoriale pour l’Ukraine. Ça permettra de trouver un compromis quant à l’adhésion à l’OTAN et à l’Union européenne, peut-être même des forces de maintien de la paix.
On ignore quand, mais à un moment donné, lorsque le prix deviendra trop élevé pour les deux camps, il y aura une résolution.
PETER HAYNES : Bien sûr, ce sujet de la Russie et de l’Ukraine, le soutien à l’Ukraine, sera au cœur des réunions de l’OTAN, qui auront lieu en Europe cette semaine, je crois. Je crois que la ministre des Affaires étrangères, Mélanie Joly, représentera le Canada à cette réunion.
En fin de semaine dernière, le Toronto Star a publié un article de fond sur la ministre Joly, dans lequel elle mentionne que le Canada investira davantage dans le secteur de la défense. Ce ratio des dépenses de défense par PIB semble être un facteur décisif pour le Canada, par rapport aux autres membres de l’OTAN.
Mais le fait est que les Forces armées canadiennes sont, je cite : « tendues et sous-financées », cependant, selon la mise à jour d’automne qui a été publiée la semaine dernière, le gouvernement libéral a réduit le budget de la défense. Alors, Frank, comment faire la quadrature du cercle?
FRANK MCKENNA : Eh bien, tout d’abord, on doit faire preuve d’un peu de prudence dans la façon dont on comptabilise nos contributions. Je me souviens de mon passage à Washington, quand on était très engagés en Afghanistan. Ça nous a coûté de nombreuses vies et beaucoup d’argent.
Les Américains me disaient souvent : « Vous, les Canadiens, méritez plus de reconnaissance que vous n’en avez reçu. Vous vous battez dans la province de Kandahar, qui est la plus difficile. Vous vous battez sans ménagement et vous êtes extraordinairement intégrés à nos forces. »
En revanche, bon nombre des autres alliés, qui ont dépensé peut-être autant, se ménageaient et avaient quelques restrictions, comme le fait de ne pas pouvoir sortir de leur camp de base, ou de ne pas porter d’armes offensives, ou d’autres facteurs qui les ont tenus à l’écart du danger. On est allés en permanence au cœur du combat. Alors, je crois qu’il faut vraiment faire attention à la façon dont on comptabilise.
Mais votre question est pertinente. Je pense que le gouvernement signale désormais qu’il traverse une période de restrictions relatives. J’ai parlé à la nouvelle ministre du Conseil du Trésor, qui m’a clairement dit qu’elle avait l’intention d’être très rigoureuse dans la façon de dépenser l’argent des contribuables, ce qui je crois est louable.
Le gouvernement signale donc cet automne que tous les postes budgétaires seront réduits. Dans le cas de la Défense, pour répondre directement à votre question, c’est une question à court et à long terme.
À court terme, la Défense va subir les mêmes restrictions budgétaires que le reste du gouvernement. Mais à long terme, les dépenses dans le secteur de la Défense augmenteront.
Le ministre de la Défense Blair a pris la parole au Forum sur la sécurité de Halifax la semaine dernière et s’est engagé à ce que le Canada augmente ses dépenses en matière de Défense, mais il a soutenu qu’il allait s’assurer qu’elles soient investies judicieusement, dans les munitions, la formation et ainsi de suite, et que certaines dépenses pourraient être réorientées.
C’est ce qui se produira à la suite de la mise à jour de la politique de Défense, qui est prévue pour le printemps et ce sera le point de départ d’une décision gouvernementale concernant l’augmentation des dépenses consacrées à la Défense.
PETER HAYNES : Croyez-vous, Frank, qu’on expose notre pays à la critique, en jouant ainsi avec les chiffres en expliquant la façon dont on dépense notre argent pour les forces armées par rapport au nombre brut réel, qui semble être ce qui intéresse réellement l’OTAN?
FRANK MCKENNA : Oui, je pense qu’on se fait un peu critiquer pour ça. Ce serait juste. Je pense qu’on s’est un peu mis à nu sur le fait que nous n’atteignons peut-être pas ou que nous ne semblons même pas essayer d’atteindre les cibles établies par l’OTAN.
PETER HAYNES : Bien que ces cibles soient difficiles à atteindre en ce moment, comme vous l’avez mentionné, le ministre des Finances a déclaré dans sa mise à jour d’automne que tous les secteurs du gouvernement subiraient des compressions budgétaires, comme vous venez de le mentionner dans le cas des Forces armées.
Je sais que Chrystia Freeland, qui était notre ministre des Finances, a fait l’objet de critiques à ce sujet après la publication de la mise à jour relative à la situation financière. Plus précisément, ces critiques portaient sur le fait qu’elle a mentionné que le gouvernement enregistrerait un déficit de 40 milliards de dollars en 2024, si j’ai bien compris les chiffres.
Ça ne cadre pas vraiment avec le mandat qui a été mis en place lorsque Justin Trudeau a été élu en 2015 et a dit que nous enregistrerions un faible déficit. Je pense que ce chiffre dépasse le faible déficit.
De plus, la ministre Freeland a indiqué qu’elle promettait de réduire le ratio déficit-PIB, ce qui sera extrêmement difficile, quand bien même on réussit un atterrissage en douceur, voire un atterrissage forcé, de notre économie en ce moment même. Frank, comment la ministre va-t-elle pouvoir passer par ce prisme complexe et s’assurer que la force du Canada, de notre pays, de notre économie et de notre devise telle qu’elle est perçue, reste solide?
FRANK MCKENNA : Je pense que c’est une excellente question, non seulement à aborder entre nous, mais à nous poser en tant que Canadiens, parce que la mise à jour d’automne comportait de bonnes et de mauvaises nouvelles. Pour ce qui est des bonnes nouvelles, on a reconnu qu’il fallait prendre en main la question du logement et qu’il fallait le faire de façon spectaculaire. Il y a eu un engagement significatif de pris sur diverses façons de dynamiser le logement au pays, ce qui est très important.
Pour ce qui est des mauvaises nouvelles, aucune mesure particulière n’a été annoncée pour accroître la productivité au Canada, qui a tendance à être l’une des faiblesses chroniques de notre pays. Même si notre croissance se poursuit, elle n’augmente pas par habitant. Notre population est en croissance. Même si notre pays augmente sa production de richesse, il ne l’augmente pas par habitant et il est à la traîne par rapport à d’autres pays, en fait. C’est donc une faiblesse dans notre budget.
Toujours dans les mauvaises nouvelles, mais aussi des nouvelles inévitables, le gouvernement a reconnu que le moment était venu de payer l’addition. En d’autres mots, que tout cet argent qu’on a emprunté pendant la pandémie, on doit commencer à le rembourser. Et on doit commencer à le rembourser avec des taux d’intérêt qui ont augmenté.
Toutes ces personnes, y compris certains économistes d’excellente réputation, nous ont expliqué il y a quelques années qu’on devait emprunter à profusion parce que les taux d’intérêt étaient tellement bas qu’il serait presque irresponsable de ne pas emprunter. D’une façon ou d’une autre, ils n’ont pas réalisé que les taux d’intérêt ne restent pas éternellement bas et qu’à un moment, il faut rembourser.
Je fais partie de cette très vieille école dans le monde, qui pense qu’on devrait être beaucoup plus responsables sur le plan financier et ne pas emprunter à nos enfants et à nos petits-enfants. Le budget a donc reconnu de façon réaliste que les taux d’intérêt sont beaucoup plus élevés maintenant et que les coûts liés à la dette deviennent considérablement plus élevés que prévu il y a quelques années.
Toutefois, le gouvernement a pris des mesures qui, selon moi, sont très importantes, à savoir le rétablissement d’une cible budgétaire. Cette cible budgétaire commencera en 2026. D’une certaine façon, c’est comme saint Augustin, quand il a dit : « Seigneur, rends-moi chaste, mais pas tout de suite. »
Les mesures pour atteindre la cible budgétaire ne seront donc pas mises en œuvre avant quelques années, mais ça nous permettra de maintenir les déficits sous la barre de 1 % du PIB. C’est assez significatif, Peter, parce que si l’on suit cette discipline budgétaire, on devrait être sur la bonne voie.
Pour une personne aussi prudente que moi sur le plan budgétaire, ce n’est pas la situation idéale. Mais, soyons réalistes, le Canada s’en sort très bien. Et il y a un article… D’ailleurs, je suis surpris que le gouvernement ne s’auto-encense pas davantage…
Un excellent article a été publié dans The Globe une semaine ou deux avant la mise à jour relative à la situation financière. Son titre était Quels sont les pays qui ont la meilleure situation financière, le Canada, les États-Unis ou l’Europe? La conclusion de Tony Keller, qui a écrit cet article après avoir examiné beaucoup de données internationales, c’est que le Canada se classe mieux que l’Europe et les États-Unis, et vraiment de très loin.
Au Canada, on voit qu’Ottawa affichera un petit excédent budgétaire primaire cette année, puis des excédents plus importants dans les années à venir. Les États-Unis prévoient un déficit budgétaire primaire de 3,3 % en 2023, qui reculera à peine dans les années à venir. Le déficit des États-Unis est d’environ 2 000 milliards de dollars par année et aucun répit n’est en vue. L’Europe ne s’en tire pas beaucoup mieux.
On a donc gagné une certaine marge de manœuvre, grâce à notre discipline budgétaire dans le passé. Tout ça pour dire que même si notre situation n’est pas ce que beaucoup d’entre nous aimeraient qu’elle soit, elle est meilleure que celle de beaucoup d’autres pays. Et si l’on respecte la discipline budgétaire qui est prévue dans la mise à jour relative à la situation financière, la situation commencera à s’améliorer en chemin.
PETER HAYNES : Ce n’est pas le sujet du balado d’aujourd’hui, Frank, mais c’est quelque chose à quoi je consacre beaucoup de temps et qui a été en quelque sorte inspiré par la division potentielle du RPC en Alberta, ce sont les chiffres de la productivité que vous avez mentionnés plus tôt.
Comme vous le savez sans doute, le gouvernement fédéral a rencontré des représentants de caisses de retraite canadiennes au cours des derniers mois pour discuter de la productivité et de la conviction que si les caisses de retraite canadiennes, dont vous avez si bien parlé dans le passé, investissaient une plus grande partie de leurs actifs dans des sociétés canadiennes, ça aiderait à améliorer notre productivité, du moins à réduire notre écart de productivité.
Mais bien sûr, dès que vous demandez ça aux caisses de retraite, en substance vous leur liez les mains dans le dos et vous leur dites où investir, vous reprenez aussitôt les libertés que vous avez accordées et dont vous avez chanté les louanges dans le passé et qui sont la raison pour laquelle on a des caisses de retraite aussi prospères.
Je sais que les caisses de retraite ont vraiment résisté, comme elles se devaient de le faire, face au gouvernement fédéral, parce que je ne suis pas certain que c’est ainsi que l’on va combler notre écart de productivité, en disant à nos caisses de retraite ou en demandant au Royaume-Uni de dire à ses caisses de retraite, de détenir des actions de sociétés canadiennes, coûte que coûte.
C’est un sujet complexe. Un autre aspect auquel j’ai consacré beaucoup de temps, Frank, c’est : qu’est-ce qu’une société canadienne dans un contexte de placement? Parce que la plupart des sociétés canadiennes établies au Canada tirent la majeure partie de leurs revenus des États-Unis, si elles sont mondiales.
Ce que l’on constate aujourd’hui, malheureusement, parce que c’est une très mauvaise tendance, c’est que ces sociétés canadiennes, britanniques, suédoises et japonaises veulent toutes être cotées en bourse aux États-Unis en raison d’un écart de valeur perçu et d’une hausse perçue de leur valeur. Je pense donc que notre gouvernement fédéral a un véritable défi à relever à cet égard, car il est difficile de demander à ces fonds d’investir davantage dans un marché canadien dont la taille, la pertinence et la portée diminuent. Avez-vous eu de nombreuses conversations sur la question des caisses de retraite qui devraient détenir plus d’actions canadiennes?
FRANK MCKENNA : Peter, ça a explosé au cours des dernières semaines. Bill Robson travaille là-dessus à CD Howe et la question fait l’objet de discussions à Ottawa, notamment avec les Maple Eight, etc. Ça a véritablement explosé.
En fait, j’ai participé à un groupe de réflexion à l’extérieur du pays cette fin de semaine et j’ai été surpris de découvrir que c’était l’un des principaux sujets de conversation, certains des participants étant des personnes du secteur financier avec des opinions très tranchées sur la question.
C’est un sujet pour un autre moment, parce qu’il comporte beaucoup de dimensions. Quelqu’un m’a fait remarquer que la Caisse de dépôt du Québec remplissait plus ou moins ce type de mandat attendu par certaines personnes et qu’elle était en fait très prospère et représentait un atout important pour l’économie du Québec. D’autres soutiennent que ce n’est pas le rôle des caisses de retraite.
Je le sais. Nos caisses de retraite sont les meilleures au monde. Elles jouissent de la meilleure réputation. Je pense que leur gouvernance est la plus intègre. Et quoi que l’on fasse, on ne veut pas perdre ça. C’est la première chose.
Deuxièmement, le gouvernement du Canada doit faire très attention à ne pas paraître totalement hypocrite à ce sujet, car il est extrêmement difficile, au Canada, à part les actions cotées, de trouver quoi que ce soit dans quoi investir. Nous ne mettons pas à la disposition du client autant d’actifs que dans d’autres pays.
Les aéroports ne sont pas privatisés. Les ports ne sont pas privatisés. Dans une large mesure, nous n’avons pas d’autoroutes privatisées. Nous n’avons pas de systèmes d’approvisionnement et de traitement de l’eau privatisés. Les grandes entreprises publiques sont toutes soigneusement surveillées par les gouvernements, d’une part parce qu’on n’est pas suffisamment mal en point pour aller chercher de l’argent sur d’autres marchés et, d’autre part, parce que la syndicalisation au Canada est très généralisée et qu’il y a une forte résistance à toute forme de privatisation.
Alors, en grande partie, à part les actions cotées en bourse, si nos caisses de retraite veulent investir au Canada, elles ne trouveront pas beaucoup d’options à étudier. Et je critique le gouvernement du Canada, les gouvernements provinciaux et les gouvernements municipaux pour cette raison, parce qu’ils ne sont tout simplement pas prêts pour cette option de financement. Les gouvernements doivent donc faire preuve d’un peu de prudence et ne pas être hypocrites.
PETER HAYNES : OK, alors, Frank, juste une dernière question pour nos auditeurs qui sont à l’extérieur du Canada, aux États-Unis et à Singapour. À titre de rappel, nos prochaines élections auront lieu en 2025. Selon vous, Frank, est-ce qu’on restera comme ça jusqu’en 2025, ou est-ce qu’on va voir le gouvernement se dissoudre avant? Quelle est votre prédiction?
FRANK MCKENNA : Je pense qu’on va y arriver. C’est un peu comme un nœud gordien. Ni l’un ni l’autre des partis n’aurait intérêt à ce qu’on se rende aux urnes, car les deux seraient probablement anéantis sur le plan électoral si des élections étaient tenues dans un proche avenir.
À moins que quelque chose ne change radicalement dans le calcul politique, il est probablement préférable pour les deux partis d’aller jusqu’à l’échéance électorale. Ça ne changera que si quelque chose change de façon spectaculaire dans le paysage politique et il est difficile de prévoir quoi pour le moment.
PETER HAYNES : Le calcul politique, un terme que vous avez utilisé il y a quelques secondes. Il y a beaucoup de calculs politiques en cours en Alberta en ce moment. On a beaucoup parlé dans certains de nos récents balados des griefs de la province de l’Alberta à l’égard d’Ottawa.
Ce sont probablement les catalyseurs derrière les critiques à l’égard des paiements de péréquation, la possibilité d’une séparation du RPC et d’autres politiques qui opposent la province au reste du Canada. Nous savons que l’un des nouveaux leviers controversés que la première ministre de l’Alberta, Danielle Smith, a mis en place, est la Loi sur la souveraineté de l’Alberta.
Il s’agit d’un projet de loi qui en est encore au stade de la rédaction et qui a suscité beaucoup de controverse dans le reste du Canada. On a une Cour suprême et des règles fédérales ici et, tout à coup, l’Alberta se retirerait de ces décisions si elle estimait subir un préjudice.
Quoi qu’il en soit, madame Smith a annoncé au cours de la fin de semaine, même si le projet de loi en est encore au stade de la rédaction, qu’elle allait invoquer la soi-disant Loi sur la souveraineté de l’Alberta pour la première fois afin de défendre l’Alberta contre la politique du gouvernement fédéral visant à obtenir un réseau d’électricité à consommation nette zéro d’ici 2035. Comment cette contestation va-t-elle aboutir?
FRANK MCKENNA : Elle aboutira devant un tribunal. Il ne fait aucun doute que la Loi sur la souveraineté est en territoire très contesté. Sur le plan constitutionnel, certaines personnes, comme John Major, juge à la retraite de la Cour suprême, pensent que c’est probablement conforme à la Constitution. D’autres experts en droit constitutionnel disent le contraire.
Pour être juste envers le gouvernement de Danielle Smith, elle a déclaré que la Loi sur la souveraineté respecterait la Constitution du Canada et l’avis de la Cour suprême du Canada sur la constitutionnalité. Elle est donc assujettie à l’interprétation de la Constitution par la Cour suprême du Canada. Je pense que c’est là que ça se terminera.
Mais, quelle que soit l’issue, elle sert son objectif. Elle a un réel problème que l’on doit reconnaître de façon réaliste, à savoir qu’elle est dans une province profondément divisée entre, je dirais, des forces plus modérées et des forces de droite dure, entre les électeurs des régions rurales et les électeurs des régions urbaines.
C’est une coalition très difficile. J’ai vu Jason Kenney, un leader politique très, très compétent, tomber sous le poids de cette obligation de devoir essayer d’équilibrer ces forces. Elle essaie donc d’équilibrer ces forces et de conserver sa base électorale.
Dans certains cas, elle a de vrais griefs que je reconnais. Dans d’autres cas, je pense qu’il s’agit de doléances artificielles visant à protéger sa base politique. À mon avis, le gouvernement du Canada fait un très mauvais travail pour se protéger et définir clairement ses ambitions.
En fait, le gouvernement du Canada a une carte à jouer en Alberta, mais il ne la joue pas. Il possède un pipeline qui vaut probablement de trente-cinq à quarante milliards de dollars, presque exclusivement consacré aux ressources de l’Alberta, qui ajoutera une valeur énorme à l’économie de la province.
Si l’on tient compte des 500 000 barils de pétrole supplémentaires qui accéderont aux marchés et de la réduction de l’écart de taux qui en découlera, ainsi que de tout l’argent qui reviendra aux producteurs et au Trésor provincial, le Fonds pour les puits orphelins qui a été financé par Ottawa.
Plus de dix milliards de dollars d’allègements fiscaux ont été accordés pour le captage et le stockage du carbone. Rien de tout ça n’est destiné à l’Île-du-Prince-Édouard. Tout est destiné à l’Alberta et, dans une certaine mesure, à la Saskatchewan. Et puis il y a la politique sur l’hydrogène au Canada, qui est largement conçue en faveur des intérêts de l’Alberta.
Je pense que le gouvernement du Canada a une bonne carte à jouer, mais il ne la joue pas en Alberta. Par conséquent, les doléances de l’Alberta, certaines légitimes et d’autres moins légitimes, ont tendance à occuper le devant de la scène. En fin de compte, ça se réglera par un bon maquignonnage de chevaux à l’ancienne, j’espère.
Mais une partie de ces doléances devra aussi être entendue, comme on dit. Dans la vie publique, elles feront l’objet d’une contestation en vertu de la Constitution, ce qui prendra probablement quelques années. Pendant ces quelques années, les feux finiront par s’éteindre naturellement et laisseront la place à des discussions plus rationnelles.
PETER HAYNES : Pourquoi le gouvernement hésite-t-il à aller sur le terrain en Alberta pour jouer sa carte?
FRANK MCKENNA : Je pense qu’il y a une raison politique à ça, parce qu’ils ne veulent pas être perçus, au Québec en particulier… certaines autres régions du Canada aussi, mais au Québec en particulier… comme étant trop indulgents à l’égard des questions climatiques. Certaines régions du Canada aimeraient qu’on en finisse avec les sables bitumineux.
Par conséquent, lorsque des sommes massives sont prévues pour des allègements fiscaux en vue de nettoyer le pétrole des sables bitumineux, c’est peut-être une bonne chose en Alberta, mais ce n’est pas très bon ni très avantageux sur le plan politique dans d’autres parties du Canada.
Je pense qu’il y a une raison politique à ça. Je n’accepte pas cette raison politique. Je pense que les Canadiens raisonnables accepteront des arguments raisonnables. Deuxièmement, ce n’est au fond qu’une question de ressources. Il n’y a que quelques membres élus du côté du gouvernement en Alberta et ils sont élus dans les circonscriptions urbaines.
Il n’y a pas vraiment de députés libéraux des régions rurales et pas vraiment de figures dirigeantes qui peuvent exprimer une position avec vigueur. Il y a de nombreuses années, une personne comme Anne McLellan, une vice-première ministre et qui s’exprimait formidablement bien, faisait ce travail. Mais maintenant, il n’y a plus personne.
PETER HAYNES : Frank, je vais passer à la Colombie-Britannique, ou du moins à un problème qui a été très important à un moment donné en Colombie-Britannique et qui l’est toujours, soit le conflit entre l’Inde et le Canada.
La raison du conflit qui oppose le Canada et l’Inde, c’est que le Canada avait laissé entendre que le gouvernement indien était à l’origine de l’assassinat d’un chef de la communauté sikhe en Colombie-Britannique. Récemment, des représentants indiens ont déclaré que les relations, qui avaient franchement tourné à la banquise entre les deux pays, semblent s’être quelque peu dégelées.
Ajoutez à ça ce que le Financial Times rapportait la semaine dernière ou la semaine précédente que le gouvernement américain avait déjoué une tentative d’assassinat sur un citoyen américain d’origine sikhe et avait mis en garde le gouvernement indien sur son éventuelle participation à ce complot.
Comment cette nouvelle annonce des États-Unis influence-t-elle le conflit entre le Canada et l’Inde? J’avoue que je ne fais que lire ce que je vois dans les médias. Il n’est question que de conjecture, d’après ce que j’ai lu.
FRANK MCKENNA : Je pense que ça renforce la position du Canada. Ça montre au monde qu’on n’est pas seuls et que nos allégations sont fondées. Soit dit en passant, le Canada est au courant de cette situation depuis un certain temps, faire ces allégations publiquement était donc calculé.
Je pense que ça rassure à la fois le gouvernement et les Canadiens sur le fait que notre grief était fondé. Mais votre question sur le dégel des relations est un peu différente et c’est effectivement le cas.
Je pense que c’était Mark Twain… quelqu’un qui nous écoute me corrigera peut-être, mais je pense que c’est Mark Twain… qui a dit que l’art de la diplomatie consistait à dire : « Voilà, c’est un bon chien, un gentil chien », jusqu’à ce que vous puissiez mettre la main sur une pierre assez grosse. Autrement dit, c’est une question de temps.
La diplomatie fonctionne toujours mieux lorsque les choses se sont calmées. Deux mois plus tard, le calme est revenu autour de ce problème. Les diplomates travaillent vraiment très dur pour atténuer les répercussions et les émotions.
Si vous observez, Peter, vous verrez que les opérations boursières ne semblent pas avoir changé du tout. On continue d’avoir une relation commerciale très solide avec l’Inde. On a environ 300 000 étudiants ici. Tous ces étudiants sont toujours là, alors rien n’a vraiment changé sur le terrain. C’est parce que nous avons laissé le temps à la diplomatie de faire son travail.
Peu à peu, le calme revient par rapport à ce problème. Les émotions ne devraient pas s’en mêler et tout continuera à revenir à la normale. Malheureusement, jusqu’à ce que des accusations soient portées et, à ce moment-là, selon la situation sur le terrain, les choses pourraient redevenir très tendues.
Mais pour le moment, je dirais que le conflit est un peu en veille. Les diplomates travaillent dur. Les gens d’affaires font ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire des affaires. Les étudiants font ce qu’ils savent faire, c’est-à-dire étudier dans les universités canadiennes.
PETER HAYNES : Eh bien, tant mieux. Espérons que ça se poursuivra et qu’on sera en mesure, en tant que gouvernement et en tant que pays, de nous attaquer à ce sujet délicat, si des preuves existent que le gouvernement indien est impliqué et que ça se traduit par des poursuites réelles. Espérons qu’on pourra traverser ce processus sans trop de heurts.
Au cours de la dernière fin de semaine… Je vais juste terminer sur deux sujets rapidement, Frank. Au cours de la dernière fin de semaine, lors d’un cessez-le-feu temporaire convenu entre le Hamas et Israël, il y a eu un échange de dizaines d’otages et une période où l’aide humanitaire a pu parvenir à Gaza. Il est question de prolonger ce bref cessez-le-feu encore quelques jours.
Au sujet de la situation actuelle de la guerre, Frank, à votre avis, a-t-on dépassé le point où l’on pouvait craindre que d’autres pays s’en mêlent et que la guerre se propage dans d’autres régions du Moyen-Orient?
FRANK MCKENNA : Non, pas complètement. Je pense qu’on a encore beaucoup de chemin à faire. Je déteste présenter les choses ainsi. Il y aura encore plusieurs jours, ce qui est dans l’intérêt des deux parties, pour libérer les otages. Mais Israël ne cessera pas de mener cette guerre.
Ils ont été très fermes sur leurs convictions que le Hamas doit être éliminé en tant que menace pour Israël et je crois que l’opinion publique appuie fortement le gouvernement d’Israël à cet égard. Ils continueront donc de le faire et le Hamas continuera de vouloir éliminer l’État juif. Ça n’a pas du tout changé.
Je pense qu’il y a eu un effort diplomatique extraordinaire pour faire libérer les otages et pour tenter de désamorcer les tensions dans d’autres pays de la région. Jusqu’à maintenant, ça fonctionne. Aucun autre pays ne s’est impliqué.
Mais il y a toujours un risque d’accident et c’est pourquoi j’hésite à dire que ce conflit est confiné à Gaza. Il y a toujours un risque d’accident. Presque tous les jours, des rebelles Houthi au Yémen attaquent l’armée américaine. Le Hezbollah attaque presque tous les jours et ces attaques contre Israël ont été repoussées.
Mais quelque chose de terrible pourrait arriver. Un missile pourrait être tiré par le Hezbollah depuis le Liban et tomber sur Tel-Aviv ou Jérusalem. De nombreuses victimes pourraient être déplorées. Un navire de guerre américain pourrait être frappé. La Syrie pourrait faire quelque chose de stupide.
Il est toujours possible que quelque chose se produise. Vous avez des adultes qui travaillent fort dans la salle. Le Qatar semble vraiment prendre les devants et faire beaucoup plus que sa part. Je pense que l’Arabie saoudite essaie de calmer les choses, et l’Égypte est dans une position inconfortable, tout comme la Jordanie, mais je pense qu’ils font tous de leur mieux.
Je pense que le résultat le plus probable est que ce conflit reste confiné, mais il y a toujours la possibilité qu’un accident majeur se produise. Si ça devait arriver, tous les paris sont ouverts. N’oubliez pas, à bien des égards, que [INAUDIBLE] une grande partie de la tension persiste au Moyen-Orient, c’est-à-dire l’Iran et ses ambitions d’obtenir une arme nucléaire.
Israël, surtout après avoir vu ce qui s’est passé avec le Hamas, sera absolument résolu à empêcher l’Iran d’obtenir l’arme atomique, ce qui ferait d’Israël un otage. Alors, si l’Iran continue d’essayer de fabriquer une bombe, Israël participera à une opération militaire importante contre l’Iran et les États-Unis participeront également à cette opération.
Ce n’est donc pas le point central de ce qui se passe en ce moment, mais ça n’a pas non plus disparu et ce serait un événement beaucoup plus important et plus sanglant que celui que l’on vit actuellement.
PETER HAYNES : Eh bien, prions pour que ça n’arrive pas. Lorsqu’on a parlé plus tôt du dégel entre l’Inde et le Canada, on a aussi l’impression que la température a un peu baissé entre la Chine et les États-Unis. Ça fait suite à la récente rencontre du président Biden avec le président chinois Xi à San Francisco. Que voudriez-vous voir ensuite pour être certain que la relation entre ces deux superpuissances repose sur des bases plus solides?
FRANK MCKENNA : Je pense que c’est formidable que vous l’ayez mentionné, parce qu’on parle de toutes les mauvaises choses qui se passent dans le monde. C’est vraiment une très bonne chose. Il s’agit d’un événement remarquable qui montre que les deux pays savent qu’ils doivent désamorcer la tension.
Soit dit en passant, à un moment donné, je pense que le président Biden aura plus de mérite pour ses réalisations importantes dans les livres d’histoire qu’à l’heure actuelle. Évidemment, le très important programme de lutte contre les changements climatiques qu’il a présenté dans le cadre de l’Inflation Reduction Act, de la CHIPS Act, de la législation sur les infrastructures et du contrôle des armes à feu modestes. Ce sont toutes des réalisations importantes.
Mais les réalisations les plus importantes, notamment garder l’OTAN unie pour condamner la guerre en Ukraine, être un allié indéfectible d’Israël face à une Amérique très divisée et désamorcer les tensions avec la Chine, sont toutes très importantes.
Même si elles ne se reflètent pas du tout dans les sondages aux États-Unis, elles le feront dans les livres d’histoire. J’ai donc trouvé que c’était un événement important. Pour répondre à votre question, le principal indicateur de progrès sera la conférence COP28 qui aura lieu à Dubaï au cours des prochains jours.
Si la Chine démontre qu’elle est une partenaire déterminée dans la lutte contre les changements climatiques, ce sera aussi un grand pas en avant. À l’heure actuelle, tout indique que la Chine pourrait être prête à franchir cette étape.
PETER HAYNES : OK, on va suivre ça avec beaucoup d’intérêt. Avant de vous laisser partir, Frank, la semaine prochaine, il y aura les réunions des directeurs généraux à Nashville pour le baseball. Presque tout le monde attend de savoir ce que Shohei Ohtani fera, où il signera. Quel est votre pronostic sur les projets de Shohei? Et pensez-vous que les Blue Jays ont une chance?
FRANK MCKENNA : Où il atterrira, je l’ignore. Ce sera un gros contrat, c’est une équipe qui a beaucoup d’argent. Je ne pense pas qu’il ira à Toronto. La direction a fait parler d’elle en évoquant cette possibilité. Je crois que c’était juste pour le spectacle.
Franchement, la direction de Toronto ne m’a pas semblé faire preuve de la résolution nécessaire pour conclure ce genre de contrat. Et les propriétaires semblent prêts à nous laisser avec une équipe qui n’est jamais assez bonne pour gagner et jamais assez mauvaise pour la remanier.
Après certains des contrats qu’on a conclus au cours des deux dernières années, je serais un peu préoccupé par le prix à payer pour Ohtani. Est-ce que ça ferait une différence? Ça ferait une énorme différence, mais j’ai bien peur qu’on ait besoin de plus d’un seul joueur pour rebâtir cette équipe.
PETER HAYNES : Eh bien, on pourrait dire qu’il est deux joueurs, mais il ne sera pas deux joueurs l’an prochain. Je prédis qu’il finira par conclure un contrat qui porte beaucoup plus sur des facteurs qualitatifs que sur des facteurs quantitatifs, que ce soit à Seattle, parce que c’est là qu’il passe ses étés, ou que ce soit à Boston, parce qu’ils ont déjà un autre joueur japonais dans leur équipe.
Je pense qu’on va découvrir que les facteurs qualitatifs… et c’est pourquoi je n’écarte pas les Blue Jays, en raison de la démographie de Toronto. C’est une ville incroyable et très diversifiée, avec une ouverture extraordinaire pour les pays étrangers.
Je n’exclurai donc pas Toronto. Il semble qu’on ait une grande équipe sur le marché. Vous avez vu les photos de tous les sièges qui ont été jetés de l’ancien Centre Rogers, et ils les remplacent par de nouveaux sièges de luxe de niveau 100, où ils vont faire payer beaucoup plus cher les places à l’avenir.
Je n’écarte donc pas les Jays. Si, d’une façon ou d’une autre, on attire son attention pour des raisons qualitatives, je ne vais pas blâmer notre direction si ça ne se produit pas, mais je ne pense pas qu’il y ait une raison valable de ne pas au moins essayer de le faire. Et j’espère, Frank, qu’on est dans le champ de vision de certains de ces électrons libres. On a beaucoup de trous à combler, après tous les joueurs qui sont partis.
FRANK MCKENNA : J’espère vraiment qu’on essaiera de l’obtenir, lui ou d’autres grands électrons libres. Mais je ne sais pas. Parfois, pour citer un proverbe chinois, je pense qu’on est un gros chien qui agit comme un petit chien. Ça me rend fou parce qu’on est une grande équipe sur le marché. Toute la nation est derrière nous. Je pense que les supporteurs le méritent, une équipe de qualité et des efforts à 100 % sur le terrain chaque jour.
Je suis un peu désabusé en ce moment. J’ai été très déçu à la fin de la saison l’an dernier, puis j’ai regardé certains de nos joueurs vedettes emmener d’autres équipes jusqu’à la Série mondiale… nos anciens joueurs vedettes. Alors, on peut me trouver cynique maintenant, mais je vis dans l’espoir et j’ai hâte que les entraînements du printemps reprennent.
PETER HAYNES : J’aurais peut-être dû attendre encore un mois avant de parler des Blue Jays avec vous. De toute évidence, c’est encore douloureux. Frank, on discutera de nouveau juste avant le temps des Fêtes et j’ai hâte. Pour le moment, merci encore pour tous vos points de vue. On s’est dit avant de commencer que les sujets de discussion ne manquaient jamais, et c’est encore le cas ce mois-ci. Merci encore.
FRANK MCKENNA : Merci à vous.
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Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
Frank McKenna
Président suppléant, Valeurs Mobilières TD
À titre de président suppléant, Frank a pour mandat de soutenir l’expansion soutenue de Valeurs Mobilières TD à l’échelle mondiale. Il est membre de la direction du Groupe Banque TD depuis 2006 et a été premier ministre du Nouveau-Brunswick et ambassadeur du Canada aux États-Unis.
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter Haynes
Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
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Directeur général et chef, Recherche, Structure des marchés et indices, Valeurs Mobilières TD
Peter s’est joint à Valeurs Mobilières TD en juin 1995 et dirige actuellement notre équipe Recherche, Structure des marchés et indices. Il gère également certaines relations clés avec les clients institutionnels dans la salle des marchés et anime deux séries de balados, l’une sur la structure des marchés et l’autre sur la géopolitique. Il a commencé sa carrière à la Bourse de Toronto au sein du service de marketing des indices et des produits dérivés avant de rejoindre Le Crédit Lyonnais (LCL) à Montréal. Membre des comités consultatifs sur les indices américains, canadiens et mondiaux de S&P, Peter a siégé pendant quatre ans au comité consultatif sur la structure du marché de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario.