Si vous le construisez, ils viendront : Discussion avec le Dr Jerry McGinn
Animation : Roman Schweizer, directeur général, Groupe de recherche de Washington – Analyste des politiques de défense et de l’aérospatiale, TD Cowen
Invité : Dr Jerry McGinn, directeur général, Baroni Center for Government Contracting, George Mason University
La capacité de fabrication, l’embauche et la fidélisation de la main-d’œuvre et une foule d’autres problèmes continuent de nuire au département de la Défense et aux fabricants de matériel de défense américains. Joignez-vous à nous pour une discussion avec le Dr Jerry McGinn sur la santé de la base industrielle aux États-Unis et sa plus récente analyse d’études de cas dans des opérations passées aux États-Unis.
Ce balado a été enregistré le 11 octobre 2024.
Roman Schweizer :
À l’affût de l’information qui circule du département de la Défense au Congrès et de la Maison-Blanche à Wall Street, le balado « Ce qu’il faut savoir sur la sécurité nationale » présente sans filtre des discussions et des prévisions éclairées sur les principaux enjeux de l’heure en matière de sécurité nationale et de défense. Bienvenue à ce numéro spécial du balado « Ce qu’il faut savoir sur la sécurité nationale ». Je reçois aujourd’hui Jerry McGinn, Ph. D., directeur général du Baroni Center for Government Contracting, George Mason University. Ancien représentant de la politique industrielle au département de la Défense, Jerry a longtemps travaillé pour le secteur et le gouvernement dans le cadre de la politique de défense.
Il a récemment publié une étude fantastique sur la base industrielle de défense intitulée « Before the Balloon Up Goes Up: Mobilizing the Defense Industrial Base Now to Prepare for Future Conflict ». Je suis heureux de l’accueillir pour discuter de ses conclusions et de ses recommandations. Jerry, merci de votre présence. J’ai hâte de parler de votre nouveau rapport. Il a retenu mon attention et celle de beaucoup d’observateurs à Washington, et j’en ai aussi entendu parler par des investisseurs. Je rappelle le titre, paru le 3 octobre : « Before the Balloon Goes Up: Mobilizing the Defense Industrial Base Now to Prepare for Future Conflict ». Dans quel contexte avez-vous décidé de rédiger ce rapport et quel a été le processus?
Jerry McGinn :
Merci de m’avoir invité, Roman. Ça me fait plaisir de discuter avec vous. Je suis emballé par votre balado, qui est encore quelque peu nouveau. L’aventure a débuté en 2024 , alors c’est parfait. On a beaucoup parlé des défis liés à la chaîne d’approvisionnement et à notre base industrielle, en particulier pendant la pandémie de COVID-19. Du côté militaire, après le début de notre soutien à l’Ukraine, on a souligné la fragilité de certaines chaînes d’approvisionnement, le peu de temps pour augmenter la capacité. J’ai donc décidé d’envisager la situation dans une perspective plus large. Je me suis demandé : « Et si un conflit important éclatait? ». Pas en Ukraine, à qui on fournit des armes, mais là où nos forces sont exposées, où elles sont engagées... Par exemple, si la Chine tente d’envahir le détroit de Taïwan, sommes-nous prêts à intervenir immédiatement? Mais aussi, pouvons-nous remporter la bataille? Lors de la Deuxième Guerre mondiale, on a su relever le défi. C’est la question finale à laquelle ma réflexion tente de répondre.
Roman Schweizer :
Le sujet est fascinant. Mais dites-moi... Vous avez examiné quatre études de cas : la Deuxième Guerre mondiale, le programme d’acquisition de véhicules MRAP, la COVID-19 et l’Ukraine. Il y en avait sûrement d’autres... Vous auriez pu prendre la Corée ou... Vous aviez l’embarras du choix. Parlez-moi de ces études de cas et de ce que vous avez trouvé.
Jerry McGinn :
Oui. Je voulais voir si on était déjà passés par là. Tout le monde parle de l’arsenal de la démocratie pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je voulais me pencher là-dessus, mais aussi sur des exemples plus récents et, à vrai dire, plus pertinents. Ça renvoie aux véhicules MRAP, à la COVID-19 et à l’Ukraine; je voulais en tirer des leçons pour le présent. C’est la première chose qu’on a faite. Je peux d’ailleurs vous donner les grands points à retenir. Il faut souligner l’importance d’un leadership national fort. C’est la façon dont le président et le Congrès s’y prennent pour connaître du succès. Et c’était très clair dans tous les cas, sauf en Ukraine, où on constate certaines difficultés. Durant la Deuxième Guerre mondiale, le président Roosevelt a profité de tout ce qui s’offrait à lui.
Avant Pearl Harbor, il y avait un fort sentiment isolationniste. Il devait négocier avec le Congrès. Et la première chose qu’il a faite c’est de se lancer dans la construction navale, parce que c’était populaire au pays auprès du Congrès. C’est ce qu’il a fait. Dans le cas du programme de véhicules MRAP, le secrétaire de la Défense en a pris l’initiative en se présentant à plusieurs reprises au Congrès et à la Maison-Blanche. Et la COVID-19 menaçait des vies, alors les deux présidents ont fait preuve de leadership durant cette période. Dans le cas de l’Ukraine, on a moins vu ça. Le leadership s’est exprimé avec force, mais l’administration l’a affiché avec moins de constance et n’a pas réussi à atténuer le scepticisme à certains égards. Et ça ressort.
Il faut aussi compter sur un consensus bipartisan pour passer à l’action. Ensuite, du point de vue des programmes, pour que les choses se fassent, il faut des pratiques d’acquisition flexibles pour pouvoir concevoir du matériel qu’on peut produire rapidement. Durant la Deuxième Guerre mondiale, on s’est inspiré du B-24 pour développer et tester rapidement un modèle d’avion. Dans le cas des véhicules MRAP, les bombes en bordure de route tuaient des soldats. Le secrétaire d’État a dit : « Bon sang, il nous faut un modèle existant qui répond à des exigences très simples. » On ne voulait pas se lancer dans un processus de trois ans. Il fallait un modèle existant qui réponde à des exigences simples. D’ailleurs, une petite partie de la conception est étrangère.
Ensuite, on a misé sur l’approvisionnement multisources dans l’idée de fabriquer en masse, de proposer des variantes, mais surtout d’entreprendre la production. À peine la demande de proposition déposée, voilà qu’on avait produit 16 000 véhicules MRAP en trois ans. C’est fou. Ça montre toute la puissance de la base industrielle. Pendant la COVID-19, la réponse a aussi été spectaculaire. Malgré tout le mal qu’on en dit, le système d’acquisition a décroché un contrat de 40 milliards de dollars en huit mois et faisait 200 millions de dollars par jour un mois après le début de la pandémie. Quand on se retrousse les manches, on y arrive. Les principes de ce genre ressortent dans ces cas-là. Et j’essaie de les appliquer par la suite.
Roman Schweizer :
J’ai beaucoup de questions, mais je voudrais raconter une histoire personnelle. Sans chercher à n’impressionner personne, durant mes vacances d’été, j’ai voyagé en Europe et j’ai eu la chance d’aller en Normandie, à Omaha Beach. Le musée de l’endroit est phénoménal et rappelle cette période sombre de l’histoire. Tous les Américains et les Européens devraient visiter le site. Le musée expose des pièces, et j’ai dû les prendre en photo pour un projet que j’ai en tête. Mais c’est parfait pour cette discussion.
On y voit un char M4 Sherman produit en série en 1942. On en a fabriqué 49 000. Ils ont été construits par Chrysler, Ford, GM, Wright, Pacific Car and Foundry, Pressed Steel Car Company, Pullman Standard Car Company, American Locomotive, Federal Machine and Welder, Fisher Body et j’en passe. C’est de ça qu’on parle. J’ai du mal à croire qu’aujourd’hui dix sociétés contribueraient à fabriquer des Tomahawks, des F-35 ou des M1A... Comment pourrait-on sortir de ce moule? Évidemment, les MRAP étaient presque une nouvelle catégorie de véhicules. Alors, c’était possible. On y arrivera peut-être avec des avions attritionnables ou d’autres équipements.
Jerry McGinn :
Oui. On voit ça de temps en temps. Dans le cas de l’Ukraine, il y a eu un important processus d’acquisition pour des munitions M105 en décembre. Le contrat a été attribué à neuf entreprises. Six sont établies aux États-Unis, une en Pologne, une en Inde et une au Canada. On voit que c’est faisable, mais ce n’est pas le modèle qui prévaut depuis la fin de la Guerre froide. On met l’accent sur l’efficacité et l’utilisation judicieuse de l’argent des contribuables. Et ce n’est pas une mauvaise chose en soi.
On gagne en précision, mais c’est plus difficile d’augmenter la production. Les systèmes sont d’une facture artisanale irréprochable qu’on ne peut pas reproduire en série. Dans les années 1970 et 1980, on faisait appel à plusieurs fournisseurs. La marine américaine achetait ses missiles de différents fournisseurs. Les entreprises se faisaient concurrence sur les coûts pour livrer des armes et des missiles à la marine et à l’armée de l’air américaines. On s’est retirés du secteur par souci d’économie. À mon avis, il faut revoir ça – je pense à la sélection d’un deuxième fournisseur – pour développer l’envergure et la capacité dont on a besoin.
Roman Schweizer :
Tout à fait. Le contexte et la situation mondiale ont changé. Voilà où on en est. Je ne dirais pas « aux grands maux les grands moyens », mais il faut changer la façon de penser. Pour les auditeurs qui ne sont pas comme moi des mordus de l’acquisition en défense ou qui ne travaillent pas dans le domaine, je recommande, sans avoir été payé pour le faire, de lire « Freedom’s Forge » un livre dans lequel Arthur Herman décrit l’ingéniosité déployée pour mettre au point l’armement durant la Deuxième Guerre mondiale. Il va certainement y avoir dans les notes du balado un lien vers le rapport de Jerry. Les statistiques présentées sur la production de pétrole sont incroyables. La fabrication dans divers secteurs a explosé. De 1942 jusqu’à la fin de la guerre, les usines tournaient à plein régime : carburant, acier, matériaux, etc. C’était d’une telle ampleur.
Jerry McGinn :
Oui. Puis-je vous interrompre?
Roman Schweizer :
N’hésitez pas.
Jerry McGinn :
Oui, j’aimerais ajouter deux choses, deux sources. Le livre de Herman est excellent, mais le tableau présenté dans le rapport provient en fait du livre de Mark Wilson, intitulé « Creative Destruction », qui propose le point de vue d’un historien sur le développement de l’arsenal de la démocratie. C’est un peu différent de l’ouvrage de Herman, qui s’intéresse aux capitaines d’industrie, Knudsen et Henry Kaiser. Wilson en parle aussi, mais insiste plutôt sur le gouvernement, le fonctionnement du War Production Board, etc. Je recommande chaudement de lire ces deux ouvrages pour obtenir un portrait plus complet. Et l’autre livre que je recommande est l’œuvre de mon ancien collègue ici au Centre, Jim Hasik. À mon avis, on lui doit la meilleure étude concernant le projet des MRAP. L’ouvrage est publié par Texas A&M Press. Voilà donc pour le volet publicitaire.
Roman Schweizer :
Non, non, ce sont d’excellents bouquins. Bon, je fais...
Jerry McGinn :
...la publicité de notre Centre grâce au rapport [inaudible 00:12:20].
Roman Schweizer :
Oui, oui. Il n’y a pas de mal non plus... Je n’ai pas lu « Creative Destruction », je l’ai pris en note. Je sais que Jim Hasik fait un excellent travail. Mais c’est l’une des choses à laquelle j’ai réfléchi et qui me paraît très controversée. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, Roosevelt a mis sur pied le War Production Board. C’était en janvier 1942, quelques mois après le début du conflit. Je ne le savais pas, mais même durant la Première Guerre mondiale, les États-Unis ont créé le War Industries Board.
En fait, quand la guerre a éclaté, on a en quelque sorte adopté une gestion centralisée, ce qui représente un anathème par rapport au fonctionnement d’une société capitaliste normale. Vous êtes un civil et vous ne travaillez pas pour le département de la Défense, je le comprends. Mais est-ce qu’il faudrait une forme de centralisation et des mesures comme la répartition des matériaux et le contrôle de la production, des prix et des salaires pour accélérer les choses? Je ne veux pas employer le mot « draconien », mais jusqu’où les mesures devraient-elles aller pour atteindre le niveau requis?
Jerry McGinn :
C’est une excellente question qui mérite une réponse en deux volets. C’est ressorti dans les cas. Le War Production Board a eu un prédécesseur pendant la Première Guerre mondiale, et un [inaudible 00:14:13] pendant la Deuxième Guerre mondiale. Dans l’un des cas, j’ai constaté l’importance d’une collaboration étroite entre le gouvernement et l’industrie. Il faut comprendre comment construire une usine ou développer une capacité, à quelle vitesse ça peut se faire, etc. On a collaboré étroitement pendant la Deuxième Guerre mondiale. En fait, ça peut se faire aussi maintenant; c’est l’une de mes recommandations. La Defense Production Act, ou DPA, que vous connaissez, tout comme vos auditeurs sans doute, est devenue populaire durant la COVID-19.
Issue de la Guerre de Corée, cette loi découle de l’autorité conférée au président Roosevelt pendant la Deuxième Guerre mondiale. Mais c’est un sujet à part dont on pourra discuter, si vous voulez. Parmi les aspects de la DPA, on a négligé le pouvoir de créer un groupe volontaire de dirigeants de l’industrie prêts à collaborer avec le gouvernement, ce qu’on appelle la « National Defense Executive Reserve ». Cette réserve peut notamment établir des ententes de service bénévole entre le gouvernement et l’industrie sur l’accroissement de la capacité. Ça permet de faire beaucoup de choses à l’avance, notamment de collaborer à la planification, comme durant la Deuxième Guerre mondiale. Mais, on n’en profite pas. Je recommande qu’on exerce ce pouvoir maintenant. Je ne pense pas que ce soit controversé, parce que ça favoriserait la collaboration entre le gouvernement et l’industrie. Pour ce qui est du contrôle des salaires, des prix, etc., ça relève davantage du gouvernement. Je n’ai pas de point de vue là-dessus et mon rapport ne s’aventure pas sur ce terrain.
Roman Schweizer :
J’ai envie de creuser un peu plus, parce que je trouve ça fascinant de comprendre. Je sais que vous avez un emploi régulier et que vous êtes très occupé. Vous n’êtes peut-être pas la bonne personne à qui confier cette tâche. On a déjà le « Defense Business Board », le « Defense Science Board ». Je ne sais même pas si le département de la Défense... Il faudrait que ce soit plus large.
Jerry McGinn :
C’est possible. Il faudrait que ça relève du Bureau exécutif du président, mais on pourrait confier l’exécution au département de la Défense et la direction au Defense Business Board, ou quelque chose du genre... Ils doivent réfléchir à la façon de faire et l’adapter à la réalité actuelle. Mais le pouvoir existe; il faut s’en servir.
Roman Schweizer :
J’ai l’impression que je vais aller à contre-courant ou que je ne devrais pas en parler, mais il faudrait que le département du Commerce soit représenté, certains... J’hésiterais à confier ça au département de la Défense...
Jerry McGinn :
Oui, ça paraît raisonnable.
Roman Schweizer :
Je pense à l’« Office of Management and Budget » ou quelque chose du genre, un organisme impartial. Mais, là encore...
Jerry McGinn :
Le défi, c’est l’exécution. Ce n’est pas l’affaire de la Maison-Blanche de toute façon.
Roman Schweizer :
Non, j’en conviens. Je pense à deux autres éléments... D’un autre côté, on a donné 52 milliards de dollars au département du Commerce pour la CHIPS Act. J’ai entendu de bonnes choses, mais surtout des mauvaises en ce qui concerne l’exécution. Il y en a qui se sentent menottés et qui se demandent combien de temps il faut pour signer un contrat. Par comparaison, en réponse à la COVID-19, le département de la Défense pouvait dépenser 52 milliards en une journée. On ne manque pas d’expérience en ce qui a trait à l’acquisition, à la passation de contrats et à la réglementation fédérale en la matière. Je comprends. Je voudrais souligner à tous ceux qui ont consulté le rapport qu’il a le mérite de se pencher sur la mobilisation, les pouvoirs, la conception, les ressources, l’acquisition, le maintien en puissance, le soutien public, les alliés et les partenaires, ce qui permet de faire des recommandations dans chacune de ces catégories.
C’est une approche rigoureuse pour dégager les principaux éléments. Souvent, on colle tout ça ensemble, et il y a bien des morceaux. Même les ressources, le budget, le processus PPBE (planification, programmation, budget et exécution) et tout le reste me semblent très bien structurés. Mais je dois vous demander, histoire de marquer le coup... Comme vous avez été responsable de la politique industrielle au département de la Défense, lui avez-vous transmis le fruit de votre réflexion? L’avez-vous transmis au Capitole? Quelle est la réaction? On a répondu de quelle façon? Je ne veux pas dire « avec sérieux »; on verra bien où ça va mener. Mais quels ont été les commentaires?
Jerry McGinn :
Oui, les commentaires sont positifs. Des hauts fonctionnaires m’ont parlé du rapport, et je dois le présenter à quelques autres dans les prochaines semaines. Des membres du personnel professionnel au Capitole ont aussi manifesté de l’intérêt. Je suis en discussion avec eux. Les recommandations du rapport demeurent générales. Je ne cherche pas la nouveauté; souvent, je m’appuie plutôt sur des événements déjà en cours. Beaucoup de bonnes choses se déroulent au département et au Congrès. J’essaie de voir comment on pourrait faire encore mieux. Parfois, il s’agit de modifier les politiques, et ça vise surtout le département. Parfois, ça porte sur l’utilisation des pouvoirs, comme je l’ai souligné avec la Defense Production Act. Dans d’autres cas, il faut l’intervention du Congrès, que ce soit une autorisation ou une affectation de crédits. Et j’essaie de présenter les éléments dont vous avez parlé dans une option d’intervention. Et c’est vrai pour chacun de ces segments.
Roman Schweizer :
Non, c’est très bien. À propos de l’Ukraine... Pour en revenir à la situation actuelle et aux aspects qui, selon moi, devraient intéresser le département de la Défense et le Congrès, je ressens une certaine frustration concernant le rythme et l’intensité dans la passation des contrats et le soutien à l’Ukraine. Vous en avez déjà parlé... Je me contenterai de formuler un commentaire pour que vous n’ayez pas à le faire. Vous parlez du leadership exercé dans le cadre du programme des MRAP et, pendant la Deuxième Guerre mondiale, de la collaboration bipartisane obtenue. Mais on ne peut pas en dire autant dans le cas de l’Ukraine. Au cours des dernières années, l’industrie s’est aussi montrée rétive au sujet des contrats, compte tenu de l’inflation, de la façon de gérer... Mais ce qui me frustre, c’est que je ne vois pas de sentiment d’urgence.
Le département de la Défense a reçu environ 79 milliards de dollars pour l’Ukraine. Si quiconque croit sérieusement que Xi Jinping envisage de frapper Taïwan en 2027, on aura eu amplement le temps de se préparer et de débloquer les fonds nécessaires pour déployer l’arsenal capable d’exercer un effet dissuasif. L’expression exacte m’échappe, mais je pense que, dans sa stratégie industrielle actuelle, le département de la Défense parle de dissuasion ou de préparation économique, ou quelque chose du genre.
Jerry McGinn :
Oui.
Roman Schweizer :
Oui. Ça s’inscrit dans une volonté d’attirer l’attention des hauts dirigeants et de rallier les deux partis à la cause de l’Ukraine. Et c’est bon pour les entreprises et les emplois aux États-Unis. J’ai parlé d’hésitation, sans viser personne en particulier, mais la situation fait en sorte que... Le rapport souligne exactement la direction à prendre. Je ne vous demande pas d’exprimer votre opinion ou de dire quoi que ce soit des fonctionnaires au gouvernement, mais pensez-vous que c’est là où on en est actuellement? Je pense que c’est pour ça que [inaudible 00:23:03].
Jerry McGinn :
Ce rapport découle du fait qu’on entend dire depuis quelques années que la base industrielle date de 1938 ou 1939 et qu’elle doit évoluer. On a fait des progrès, mais il n’y a pas de sentiment d’urgence. Je me souviens de ce que Bob Gates a dit en lançant le programme des MRAP : « Nos soldats sont en guerre, mais pas le Pentagone. » Il a dû créer lui-même ce sentiment d’urgence. Et ce n’est pas une critique... Tout le monde cherche à faire son travail. Je sais que tout le personnel de l’édifice trime dur. S’il n’y a pas de mobilisation et si on n’est pas sur le pied de guerre, il faut quand même remplir certaines exigences, sans parler de toute la bureaucratie qui vous met des bâtons dans les roues.
Il y a aussi les circonscriptions qui s’amusent à vous compliquer la vie. C’est ça que j’essaie de faire comprendre. On peut toujours régler un problème en y mettant l’argent; les cas le démontrent. Mais ça ne suffit pas; il faut aussi compter sur l’exécution. Dans le cas du processus PPBE, la vitesse d’exécution fait défaut, particulièrement à grande échelle. Oui, l’argent est important, mais il faut surtout soigner l’exécution. C’est pourquoi on doit mettre en place les recommandations formulées par la commission du Congrès l’an dernier. Mais, il y a un aspect qui m’est apparu dernièrement... J’en parle brièvement dans le rapport. Je pense que c’est vraiment intéressant pour les investisseurs institutionnels, votre auditoire.
Je pense qu’il faut trouver un moyen de mobiliser davantage les marchés financiers. Vous connaissez l’« Office of Strategic Capital ». Il vient de publier un avis d’occasion de financement. L’office accorde des prêts aux sociétés de la base industrielle. Je me suis demandé pourquoi. Comme vous le savez, les sociétés d’investissement privé et de capital de risque investissent beaucoup en défense. Alors, pourquoi des prêts? Et j’en suis venu à la conclusion que ça exerce un effet multiplicateur bénéfique. Dans la base industrielle, souvent, les investissements passent par la Defense Production Act et d’autres mécanismes, comme la CHIPS Act que vous avez mentionnée tout à l’heure. Les entreprises doivent partager les coûts. Elles se disent : « D’accord, le gouvernement va donner tant, mais qu’est-ce que l’entreprise va faire? Quelle incidence ça va avoir sur les marchés commerciaux? Quel est l’effet multiplicateur? »
C’est là que le capital privé pourrait jouer un rôle dans le programme de prêts et exercer un effet multiplicateur qui pourrait soutenir en amont la capacité industrielle selon la demande signalée par le gouvernement. Je n’ai pas de point de vue arrêté sur le sujet. J’ai assisté à une rencontre il n’y a pas très longtemps où on se demandait si on avait besoin de constituer un fonds souverain. Porter le financement de la défense de 3 % à 6 % du PIB comme c’était au temps de la Guerre froide, est-ce que ce serait la solution? Mais il y a tellement d’obstacles politiques et structurels, sans compter la dette, etc., qu’on ne peut pas simplement [inaudible 00:27:13]. Comment faire pour combler l’écart? Je réfléchis encore à la question. Et j’en parle dans le rapport, mais je pense qu’il y a une réelle occasion... Et c’est là que la collaboration entre le gouvernement et l’industrie pourrait être utile.
Roman Schweizer :
Oui, vous soulevez un bon point. Et ce ne sont pas les sociétés soutenues par le secteur privé qui manquent pour tenter de percer dans l’industrie de la défense. Je ne vais pas les nommer, mais tout le monde les connaît. Les sociétés d’investissement privé et de capital risque manifestent de l’intérêt, notamment dans certains secteurs : l’aérospatiale, les drones, la robotique, etc., dont les contours sont bien moins définis et qui n’exigent pas autant de capitaux... En général, on ne veut pas investir des sommes faramineuses pour construire un chantier maritime lorsque des poids lourds se livrent concurrence.
Ça peut se produire pour les drones de surface ou sous-marins et d’autres appareils du genre, mais personne ne veut devenir une deuxième source pour des porte-avions nucléaires ou des équipements de ce type. Je n’ai pas les statistiques à portée de main, mais il y a une chose que j’aimerais savoir et qui risque de choquer bien du monde. On parle beaucoup de la capacité navale de la Chine, du nombre de navires qu’elle peut construire chaque année, etc. S’il y avait une façon... Je ne sais pas... Qui dénonçait régulièrement l’équilibre des forces soviétiques? Est-ce que c’était la Defense Intelligence Agency ou... À l’époque, le livre qui...
Jerry McGinn :
Oh, oui, oui. Les renseignements classifiés, oui il y a ça.
Roman Schweizer :
Ils ont publié les documents déclassifiés à grand renfort de publicité; ils ont fait peur à tout le monde à propos de ce que faisaient les Soviétiques. Si on fait une comparaison, je pense que la Chine augmente sa capacité. Elle peut investir une fortune. La bureaucratie chinoise est lourde et centralisée, mais peut être court-circuitée afin d’exiger que les entreprises partagent leur propriété intellectuelle, etc. Ce serait intéressant de connaître la capacité industrielle. C’est l’aspect le plus inquiétant parce que, dans une guerre ouverte, le belligérant qui possède la plus grande capacité de production sur une période de trois à cinq ans détient l’avantage. C’est ce qui s’est produit pendant la Deuxième Guerre mondiale. Je ne crois pas qu’on puisse atteindre rapidement une telle capacité industrielle, tandis que la Chine nous dépasse déjà largement de ce point de vue.
On discute depuis longtemps et je suis arrivé à me déprimer. Désolé. Est-ce qu’on a oublié quoi que ce soit? Quand je pense au rapport, à la National Defense Executive Reserve, c’est un peu comme si la table est mise pour un autre War Production Board. Pendant la Deuxième Guerre mondiale, il y avait, je pense, le War Industries Board ou le War Production Board. Aujourd’hui, on parle du Defense Industrial Base Board ou quelque chose du genre. Il y a autre chose qui me fascine. Et c’est fondé sur ce dont on vient de parler. S’il y avait une prochaine guerre, dans les circonstances, ce ne serait pas... Je pense que dans vos statistiques... Voyons voir si je peux trouver dans le livre le graphique que vous avez mentionné sur les matières premières critiques... Donnez-moi une seconde.
Jerry McGinn :
Oui.
Roman Schweizer :
Il faudra sans doute résumer l’information. Voyons voir.
Jerry McGinn :
À la page 13.
Roman Schweizer :
À la page 13 – et c’est ce dont vous parlez – le rapport traite de l’expansion de la production : caoutchouc synthétique, carburant d’aviation, navires marchands, TNT, cellules aéronautiques, magnésium, aluminium, électricité et acier. Dans l’avenir, les semi-conducteurs vont certainement figurer dans la liste, et la fibre de carbone risque de s’y ajouter. C’est pourquoi on pourrait avoir besoin du département du Commerce ou même du département de l’Agriculture. Et, pourquoi pas, des lignes de code logiciel ou de choses du genre, comme on en a parlé.
Ça m’amène à penser à l’évolution de la base industrielle entre la Première et la Deuxième Guerre mondiale jusqu’à cette hypothèse, espérons-la farfelue, d’un troisième conflit mondial. La base industrielle d’une troisième guerre mondiale serait très différente. Ça pourrait faire intervenir la robotique, ou peu importe les moyens clés de demain. Il y a certainement là matière à réflexion. Et le Reserve Executive Board pourrait presque être la base si jamais les choses se corsent, comme vous l’avez si bien dit, et prendre les choses en main. Oui, tout ça est fascinant. C’est un excellent point.
Je ne cherche pas à minimiser quoi que ce soit, mais je peux parfois être un peu irrévérencieux. Si Donald Trump est élu président, il va peut-être nommer Elon Musk à la tête du War Production Board, ou quelque chose du genre. Je plaisante évidemment, histoire de pimenter la conversation. Jerry, on a fait un bon tour d’horizon. Y a-t-il autre chose que j’ai oublié ou quelque chose que vous aimeriez souligner au sujet de ce rapport?
Jerry McGinn :
De fait, on a fait un bon tour d’horizon. La seule autre grande question que j’aimerais aborder, c’est l’importance de renforcer la capacité nationale pour beaucoup de systèmes d’armes. Il faut reconnaître qu’on déploie trop de notre capacité à l’étranger; c’est un problème à corriger. Par ailleurs, on ne peut pas tout faire seul. On se bat aux côtés de nos alliés et de nos partenaires. La mondialisation de l’économie nous amène à travailler ensemble. Comme je l’ai mentionné, les États-Unis fournissent à l’Ukraine des obus de 155 mm, mais il y a aussi nos alliés. On doit adopter une approche collective et renforcer notre capacité mondiale.
On cherche à opposer le « Buy America » à la volonté de renforcer la capacité nationale. Je ne vois là aucun conflit; c’est bien plus un mélange des deux. On doit renforcer la capacité nationale, mais nos ressources sont limitées. Quand on se bat aux côtés de nos alliés et partenaires, on s’achète des produits entre nous. Ils ont ici aux États-Unis des filiales qui fabriquent des systèmes importants. Il faut faire encore mieux de ce côté-là et s’engager dans une collaboration industrielle internationale. On doit améliorer la coproduction, l’élaboration conjointe et mettre au point dès le départ des systèmes exportables.
Je présente une série d’éléments capables de renforcer ce qu’on fait déjà. Ça se concrétise dans le partenariat AUKUS entre l’Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni. On construit des sous-marins en Australie et ça déborde sur d’autres technologies avancées. Ça nécessite certains changements dans les contrôles à l’exportation, qui doivent être surveillés, etc. Une réelle collaboration industrielle aide à bâtir une capacité systémique à l’extérieur des États-Unis et à renforcer la capacité globale pour construire plus de systèmes. C’est vraiment important, peu importe que l’administration soit républicaine ou démocrate en janvier prochain.
Roman Schweizer :
Je m’excuse de ne pas en avoir parlé; c’est un excellent élément du rapport. À propos d’AUKUS, on participe aussi à un effort de production sous licence avec le Japon, et même avec l’Allemagne. Vous allez sans doute dire qu’il vaut toujours mieux en faire plus, mais une partie du travail peut se dérouler au niveau gouvernemental, qu’il s’agisse de faire des propositions ou d’utiliser la carotte et le bâton. Mais les entreprises peuvent aussi jouer un rôle. Est-ce qu’une entreprise américaine aurait avantage à se trouver un sous-traitant au Japon ou ailleurs? C’est souvent ce que les entreprises font.
Mais je pense que vous avez raison. En diversifiant la base de production et les chaînes d’approvisionnement, on renforce la sécurité. Cette stratégie est également attrayante parce qu’elle permet de s’intégrer à la base industrielle de l’autre pays et de participer à la croissance de ce marché. Il y a beaucoup de bonnes raisons de procéder de la sorte. Le temps file quand la discussion est fascinante. On a fait un bon tour d’horizon, comme je l’ai dit. Ç’a été un plaisir d’aborder ce sujet avec vous. J’espère bien qu’on y reviendra. Merci beaucoup d’avoir été des nôtres, Jerry.
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Directeur général, Groupe de recherche de Washington – Analyste des politiques de défense et de l’aérospatiale, TD Cowen
Roman Schweizer
Directeur général, Groupe de recherche de Washington – Analyste des politiques de défense et de l’aérospatiale, TD Cowen
Roman Schweizer
Directeur général, Groupe de recherche de Washington – Analyste des politiques de défense et de l’aérospatiale, TD Cowen
Roman Schweizer s’est joint au Groupe de recherche de Washington de TD Cowen en août 2016 pour s’occuper des questions de politique de défense. Il a auparavant occupé des postes chez Guggenheim Securities et MF Global. Le Groupe de recherche de Washington de TD Cowen a récemment été nommé premier dans la catégorie Institutional Investor Washington Strategy. Le Groupe a toujours été classé parmi les meilleures équipes de macro-politique au cours de la dernière décennie. M. Schweizer compte plus de 15 ans d’expérience à Washington (D.C.), où il a occupé les postes de représentant officiel des acquisitions gouvernementales, de consultant sectoriel et de journaliste.
Avant de se joindre au Groupe de recherche de Washington, il était un professionnel en acquisition dans le cadre du programme Littoral Combat Ship de la U.S. Navy. Auparavant, il dirigeait une équipe qui fournissait un soutien stratégique en matière de communications au Congrès et dans les médias aux hauts dirigeants de la Navy dans le cadre de programmes d’acquisition de navires de grande envergure. M. Schweizer a également offert des conseils sur les secteurs de la défense, de l’aérospatiale, de la sécurité intérieure et des marchés technologiques aux clients de Fortune 100 au nom de DFI International et de Fathom Dynamics LLC.
Il a été publié dans Inside the Navy, Inside the Pentagon, Armed Forces Journal, Defense News, ISR Journals, Training and Simulation Journal, Naval Institute’s Proceedings et Navy League’s Seapower.
M. Schweizer est titulaire d’un baccalauréat en histoire de l’American University de Washington (D.C.).